L’histoire vraie de Christine M.

Face au nombre absolument terrifiant d’histoires des plus sordides de gestion des personnels qui me remontent, pour que l’on comprenne enfin ce que signifient la maltraitance managériale et le harcèlement moral, j’ai décidé de publier l’histoire de certaines affaires dont je suis saisie, de façon anonyme, qui feront l’objet d’une décision de justice, qui seront débattues de façon contradictoire pour obtenir une vérité judiciaire, mais qui donnent, comme autant de gouttes formant un océan de terreur, la dimension exacte de ce que peuvent être aujourd’hui certaines conditions de travail.

Parce qu’aujourd’hui c’est elle, parce que demain cela pourra être votre collègue d’à côté, parce que cela pourra être vous. Il faut témoigner et il faut se défendre.

Quand elle intègre, en 2013, le service cancérologie de cet hôpital, Christine M. exerce depuis quinze ans au sein de ce grand établissement de santé en tant qu’infirmière diplômée d’état. A 43 ans, sans mari ni enfant, elle a toujours mis entre parenthèse sa vie personnelle pour se dédier aux autres.

Comme le veut la règle quand on est affecté dans un nouveau service, elle est d’abord stagiaire avant de devenir titulaire de son poste, normalement dans l’année qui suit.

A peine arrivée, et contrairement à ce qui a été convenu lors de son recrutement, elle se voit contrainte de travailler dans plusieurs services à la fois, « sans assignation fixe ». Difficile dans ce contexte, d’assurer une bonne qualité de soins pour ses patients : son travail se fait dans l’urgence, sans véritable suivi.

En outre, les infirmières sont mal réparties entre les services. Elle doit accomplir les tâches des aides-soignantes, ce qui la rétrograde et la décrédibilise aux yeux de ses pairs qui ne comprennent pas bien son rôle. Peu à peu, elle perd ses repères, doute de ses compétences. Repères d’autant plus flous que l’équipe « de jour » s’oppose à celle « de nuit » dont Christine M. fait partie, sans que le cadre supérieur ne calme les dissensions.

Face à tant de désorganisation, Christine M. s’en plaint naïvement à sa hiérarchie. Elle évoque également le manque de préparation des aides-soignantes en situation d’urgence. Une réunion en découle, en présence des personnels soignants, avec pour thèmes, leur formation, la gestion des plannings et le problème que rencontre Christine M. avec une aide-soignante, Laurence T.

Laurence T. en effet, bâcle son travail et met en péril les patients. Christine M. est systématiquement obligée de pallier ses graves manquements. Perpétuellement agressive à son égard, Laurence T. se permet même de l’insulter.

En mettant sur la table son souci du travail bien fait, Christine M. ne mesure pas encore qu’elle vient de mettre le doigt dans un engrenage terrifiant. Aurait-elle dû se taire, respecter l’omerta, cette chape de plomb qui étouffe la parole et les actes des  soignants depuis que les gestionnaires organisent l’hôpital ?

Les séries d’injustices à son encontre commencent. Contre toute logique,  son supérieur décide de couvrir les mauvais agissements et l’incompétence de Laurence T. et sanctionne Christine M. par une mauvaise notation. Il lui signifie aussi d’arrêter ses alertes écrites sur les dysfonctionnements du service.

Mais le pire est à venir. A son retour de congé, l’aide-soignante refuse de  saluer l’infirmière et de répondre aux alarmes répétées des patients. Christine M. doit encore faire le travail à sa place. Laurence T. dénigre également la vie personnelle de Christine M. auprès des personnels ou se moque d’elle ouvertement. Choquée,  l’infirmière demande en urgence  un changement d’équipe. Aucune réaction de sa hiérarchie. Forte de son impunité, l’aide-soignante poursuit ses actes malveillants jusqu’à  pousser violemment l’infirmière contre un mur. Blessée au bras et à l’épaule, Christine M. est placée en arrêt de travail. Et redemande son changement d’affectation.

Sidérée, elle apprend alors que l’aide-soignante ne sera pas inquiétée pour son acte odieux. La raison ? Christine M. n’est « que » stagiaire et, surtout, elle ne les a jamais alertés sur ses mauvaises relations avec Laurence T. Un mensonge de plus.

L’étau se resserre. La cadence des sévices psychologiques s’accélère : Désignée comme la coupable de l’agression, elle va être transférée dans un autre hôpital du groupe ; son stage est prorogé à une date ultérieure ; elle ne fait plus partie de l’équipe de nuit, alors qu’elle poursuit ses études le jour et que, bien entendu, ils le savent ; on lui refuse même de reprendre son ancienneté dans le secteur privé, selon un texte inexistant auquel, en tout cas, Christine M. ne pourra jamais accéder.

Face à ces comportements irrationnels incessants, Christine M. craque nerveusement.  Elle perd le sommeil. Tout son corps est noué par l’angoisse. Elle est à nouveau arrêtée pendant un mois et  son médecin traitant écrit noir sur blanc que « sa pathologie psychologique est directement liée au travail ».

Le coup de massue survient dès son retour. Son stage est prorogé de six mois et non plus de trois. Le motif ? Elle est devenue l’unique responsable du dysfonctionnement du service ! Pas question donc de remettre en cause le management hospitalier puisqu’ils ont trouvé le bouc émissaire idéal. Deux mois plus tard, il lui est demandé de changer d’hôpital car son stage ne peut être prolongé… Ces injonctions contraires achèvent de semer la confusion dans l’esprit de Christine M. Sa souffrance morale atteint son paroxysme.

Elle essaie toutefois de rester positive : Finalement, même si elle n’a rien à se reprocher, elle se dit que le harcèlement va cesser. Elle retrouve enfin un semblant d’espoir. De courte durée. Un mois plus tard, sans motif, le médecin du travail conteste l’agression physique qu’elle a subie de la part de l’aide-soignante. Sans connaître Christine M. il souhaite l’expertiser car il suspecte une « schizophrénie » ou un syndrome dissociatif alors que ce médecin n’a pas la compétence pour établir un tel diagnostic.

Le syndrome dissociatif est une des manifestations d’un syndrome post-traumatique et ne peut être associé à la schizophrénie. Seul l’expert psychiatre peut l’attester.  Après avoir observé Christine M. son verdict est sans appel : « Absence de toute pathologie psychiatrique ». Soulagement de courte durée. Le médecin du travail la déclare encore une fois inapte à exercer dans un poste « de jour ».  Ce qui sous-entend qu’elle peut travailler « de nuit » ? Sa situation est de plus en plus ubuesque et la volonté de lui nuire, patente.

Elle s’en plaint à sa hiérarchie qui la change encore de service. Finalement, comme elle parvient à faire correctement son travail malgré sa fragilisation, Christine M. est titularisée, un an après son arrivée dans ce groupe hospitalier. Elle a même l’autorisation de reprendre son travail de nuit.

Tout semble se normaliser. Mais l’administration choisit de s’acharner par un nouvel abus de pouvoir. Sa supérieure  lui déclare en effet « qu’elle n’aura pas son poste de nuit car elle en a décidé ainsi ».

Poussée vers la sortie comme le mouton noir, envahie par des larmes d’incompréhension, Christine M. demande à quitter, non plus un service mais tout le groupe hospitalier. Les représailles ne tardent pas à pleuvoir. D’office, sans avis médical, le médecin du travail la place en inaptitude temporaire. Sans plus de précision. Sommée de quitter immédiatement le service, elle  se trouve dans l’obligation d’aller voir son médecin traitant pour être arrêtée et ainsi « régulariser sa situation » alors qu’elle ne souffre d’aucune pathologie ! Elle s’exécute toutefois mais son médecin refuse de lui faire un certificat de complaisance.

Sous l’emprise de la peur de commettre une véritable faute, elle n’a d’autre choix que d’écrire à la direction de l’hôpital pour reprendre son travail. Pas de réponse.  Elle le sent, ils vont réussir à l’écarter définitivement de l’hôpital. Elle demande alors une protection fonctionnelle. Non seulement elle ne l’obtient pas mais en plus, ils ont enfin créé une faute « pour absence injustifiée ».  Elle ne pourra donc pas toucher son salaire !

Comme je l’écrirai  : «  Par un procédé tout à fait absurde, l’administration imposait à Mme M. de réussir à obtenir un certificat médical attestant d’une pathologie inexistante, lui imposant un arrêt de travail alors même qu’elle ne souffrait d’aucun mal, sous peine de se trouver dépourvue de toute rémunération. »

Christine M. comprend alors qu’ils ont gagné. Elle n’a plus les moyens de se battre, tous les recours possibles ont déjà été utilisés. Elle demande donc à sa supérieure d’avaliser sa mutation externe car elle a trouvé un poste dans une maison de retraite. Impossible. Sa situation administrative est bloquée : Elle est encore déclarée inapte au travail et il n’y a pas eu de recherche de reclassement au sein du groupement, au préalable, comme le prévoit la fonction publique.

Encore un dysfonctionnement ! Christine M. se retrouve à nouveau victime de l’incohérence du système et de la dangereuse incompétence des gestionnaires de l’administration. Elle est maintenant menacée de perdre le bénéfice de plusieurs mois de cotisations de retraite car elle ne peut produire les fameux arrêts de travail. Ses absences injustifiées sont considérées comme un abandon de poste. Un procédé machiavélique.

Détruite moralement par le rejet de ses demandes de départ, Christine M. retourne, la mort dans l’âme, dans une nouvelle affectation du groupe hospitalier. Le coup de grâce ne tardera pas à tomber. Une semaine plus tard, dans un rapport rédigé par ses cadres supérieurs, elle est accusée de nouvelles fautes professionnelles, pour incompétence cette fois. La liste est longue : elle aurait oublié de vérifier des étiquettes, elle aurait commis deux erreurs, l’une lors d’une piqûre, l’autre lors d’une perfusion, elle n’aurait pas respecté le protocole médical… Alors qu’elle n’a pas encore pris ses fonctions!

Peu leur importe d’être hors la loi, c’est maintenant au tour de la DRH de la suspendre pendant quatre mois. A peine arrivée, Christine M. doit donc quitter le service.

C’est la fin. Ne percevant plus de salaire, elle doit quitter son appartement.  L’assistante sociale lui trouve une place dans un foyer d’urgence mais elle ne peut pas payer et n’a personne pour se porter garant. Elle n’a plus le choix. Elle demande à ses parents de lui payer son billet de train pour revenir chez eux, dans leur lointaine province. Pour tenter de se reconstruire.

Malgré un entretien disciplinaire exigé par l’administration du GH, malgré leur refus de lui communiquer son dossier médical et administratif tronqué, Christine M. a miraculeusement obtenu une mise à disposition pour convenances personnelles.

Mais à quel prix… Sortie exsangue de ce combat inégal, elle aurait pu y laisser la vie.

Depuis, elle s’est fait prélever le montant de sa rémunération perçue il y a un an pour absences irrégulières…parce qu’elle n’a pas cédé aux exigences de devoir produire des certificats médicaux de complaisance.

Christine M. va se battre, et nous lui souhaitons de faire rétablir avant toute chose, sa dignité.