Traditionnellement, les agents publics titulaires étaient soumis chaque année à un système de notation suivant une grille de critères. Ce système permettait le cas échéant de faire avancer d’échelon voire de grade plus rapidement en individualisant la performance. Car on le sait, le statut fige mais l’avancement au choix permet de saluer la performance de l’un de façon plus concrète que l’avancement à l’ancienneté.
Et puis en 2002, une réforme en profondeur qui vient de se terminer a quelque peu révolutionné le système de la notation. Peu à peu, d’abord à titre expérimental puis de façon généralisée, la notation s’est transformée en entretien d’évaluation avec fixation d’objectifs, permettant de fixer l’octroi d’une prime variable sur la performance individuelle de l’agent. On est ainsi passé du système d’avancement au complément de rémunération. Mais comment pouvait-on copier un système adapté pour le secteur privé à des activités comme le médical, la police, la justice….Cette part d’arbitraire inadapté a ouvert la boite de Pandore et un nouveau type de contentieux sur lequel le juge a malheureusement peu d’emprise.
En clair, l’avancement à l’ancienneté, impersonnel mais juste et équitable car applicable sans distinction de la performance individuelle, a vocation à disparaitre pour que justement à grade égal, les agents soient rémunérés différemment selon leur performance individuelle. A priori cela paraît équitable car lié à l’individu plutôt qu’à un système universel sur lequel est fondée la fonction publique.
Mais introduire un tel choc culturel ne se fait pas sans heurt et incompréhension… voire injustice.
A défaut de vraie politique et culture managériale dans la fonction publique, l’évaluation annuelle est tout sauf un moment de dialogue tant que resteront ancrés les principes de devoir d’obéissance, respect de l’autorité hiérarchique et l’absence de dialogue social ou d’indices clairs d’évaluation de la performance. Peut-on sincèrement évaluer la performance d’un service public dans lequel la part d’accident est si forte? Comment mesure-t-on le nombre de patients d’un hôpital…en prévoyant le nombre d’accidents de la route ou de cancers par région? Comment établit-on la performance d’un agent douanier ou d’un policier? Aux statistiques de la délinquance dans le secteur?
Bref on l’aura compris, dans un système où on ne peut pas être licencié ni partir exercer dans une autre fonction publique (quasi une et indivisible dans le fond) et où la seule perspective d’évolution est liée à l’évaluation professionnelle, ce rendez-vous peut vite devenir révélateur d’une situation problématique de fond. Et ne parlons pas de l’évaluation faite par un supérieur hiérarchique avec qui l’agent a des problèmes relationnels.
Aligner le système privé sur le secteur public doit se faire nécessairement en adaptant les contraintes du second au statut si différent du contrat de travail, dans un milieu où tous les services ne sont pas marchands ni soumis à concurrence ou à rentabilité et ce alors que les fonds se réduisent comme peau de chagrin. On ne peut que craindre une hausse des tensions relationnelles à mettre en place un culte de la performance chez des personnels qui ont une tout autre culture.
D’où l’importance du dialogue avec les ressources humaines, de l’accompagnement et de la formation…
Evaluation – Acte 1 – L’espoir….
Une fois l’an, le cœur de tout fonctionnaire (et pas seulement celui de Dracula) bat au rythme de sa carrière. A ce moment-là, la douce sérénité du fameux « emploi à vie » s’estompe et fait place à la course à l’avancement, aussi connue sous le nom de « course à l’échalote » pour ceux qui espèrent bien décrocher un nouvel échelon.
Bienvenue dans la saison sans pitié de l’évaluation professionnelle !
Cet instant tout particulier est le moment où notre supérieur évalue nos résultats, fixe les objectifs pour l’année à venir et fait un petit bilan de notre manière de travailler. Il peut aussi nous glisser éventuellement l’idée de faire une formation, un concours ou d’aller voir carrément ailleurs si une mutation ne nous attend pas…
Remarque 1 : oui, on a tous des objectifs fixés chaque année, mais certains sont plus faciles à réaliser et à atteindre que d’autres… Selon la formulation et les rapports que l’on peut entretenir avec sa hiérarchie, il est parfois plus simple d’aller balayer la plage, que de tenter le miracle administratif.
Remarque 2 : tout cela est réalisé dans le plus pur langage administratif politiquement correct qui n’a pas encore fait l’objet d’une quelconque réforme orthographique des accents ou autre.
Cette année, le vrai suspense est pour les agents de Bob qui fera ses premières évaluations dans le service. L’intérêt des premières fois, c’est l’espoir. Exactement, ce que les agents de Jo ont perdu. L’an dernier, ses différentes évaluations ont été l’occasion d’entendre des perles dignes des pires bulletins de note d’un ado en crise, ce qui s’en est suivi de vives critiques de la part des syndicats, ce qui s’en est suivi de… pas grand-chose.
Pour le moment, l’heure est encore aux pronostics. Autour de la source à café, trois clans se font face :
- ceux qui y croient, pour motifs divers et variés : nouvel arrivant sorti tout droit de l’école et qui récite encore les règlements par cœur, bosseur acharné motivé, optimiste indécrottable dont on aimerait tous savoir à quoi il fonctionne (balades dans les champs ? huiles essentielles ? vacances chez les Bisounours ?), Jocelyne (qui oserait aller à l’encontre de la reine du mocassin à glands ?), les Dracula en devenir que rien n’arrête, les mystiques,…
- ceux qui n’y croient plus vraiment : agents de Jo en perdition, défaitistes chroniques (avec option hypocondriaque), adeptes de la théorie du déclin qui leur est apparue sur leur carrière, adeptes de la théorie du complot également apparue sur leur carrière, adeptes de toute théorie qui n’apporte rien de bien mais qui apparait sur leur carrière, victimes d’une loi des séries (dégâts des eaux, PV de stationnement, varicelle du petit, grève des transports) et qui redoutent l’étape « évaluation » dans la cascade de problèmes,…
- ceux qui s’en moquent quand même un peu : futurs retraités à plus ou moins court-terme (attention, certains à 45 ans s’imaginent déjà en pré-retraite), agents qui ne comptent pas rester et songent déjà à l’ouverture de leur baraque à frites à Maubeuge, maitres Zen, touristes,…
Ayant arrêté les huiles essentielles et les balades dans les champs depuis peu, une question me taraude : est-ce que j’y crois encore ou est-ce que je planifie mon avenir comme trapéziste dans un cirque ?