Dénoncer des attaques pernicieuses sans aucun soutien au sein d’une institution à forte valeur symbolique (comme un hôpital, une administration centrale, un conseil de l’ordre de médecins ou d’avocats, une juridiction…), vivre un ostracisme parce qu’on dénonce des illégalités en se heurtant au silence complice des collègues qui préfèrent se terrer dans une zone de confort sécuritaire, solliciter l’aide d’un système qui ne comprend pas la souffrance vécue et subir l’isolement qui en découle…toutes ces situations peuvent créer un traumatisme générant le passage à l’acte et parfois un décès par suicide.

Il n’existe aucune statistique en France sur le lien entre le suicide et le travail comme facteur déclencheur. Il y a rarement une seule cause expliquant le suicide mais un facteur unique peut faire basculer l’équilibre cognitif de la personne ou générer une incapacité immédiate à gérer une situation de souffrance trop intense.

De nombreuses études ont prouvé un lien entre le chômage et le suicide, démontrant que le travail est un facteur de construction identitaire et qu’une absence d’insertion sociale par le travail pouvait ôter le droit à la vie de la personne concernée. Mais il existe aussi un lien entre le travail et le suicide sur lequel nous n’avons aucune donnée.

La récente série Trepalium diffusée par la chaîne ARTE a clairement posé cette question. Dans une société où 80% de la population est au chômage et vit dans la « zone », le travail devient synonyme de droit à la vie. Pour autant, parce qu’on a la chance d’avoir un travail, peut-on et doit-on tout accepter pour travailler? Cette pression, dans une économie en crise, ne crée-t-elle pas des comportements déviants générant soit le silence complice par crainte de perdre son emploi, soit les manipulations perverses et égoïstes pour avancer plus vite que les autres, dans un environnement doté d’instincts égoïstes?

La question se pose de la substitution du travail à toutes les autres formes de construction identitaire et sociale que pouvaient être la famille, les relations sociales, l’école et les valeurs républicaines ou religieuses pour les personnes croyantes. Le travail est devenu un tel enjeu de survie qu’il s’est transformé quelque part en synonyme de vie. Vie sociale, vie économique, vie tout court…

Le problème posé n’est évidemment pas aussi simple mais certaines mises en scène de suicide au travail, le choix que font ces individus face à une souffrance de se donner la mort continue d’alarmer : il faut une vraie prise de conscience sur le sentiment de solitude que ces personnes ressentent lorsqu’elles sont confrontées à l’injustice, davantage d’écoute et de vraies cellules de prévention de la souffrance dans les administrations, un secteur en crise majeure du fait des restrictions budgétaires.

Dans le cadre d’une enquête de grande ampleur au sein de la fonction publique, nous recherchons le signalement de personnes:

  •  ayant fait une tentative de suicide sur le lieu de travail,
  • estimant que leur tentative de suicide est liée au travail, qu’elle ait eu lieu sur le lieu de travail ou ailleurs,
  • témoins d’une tentative de suicide ou d’un suicide sur le lieu de travail
  • ayant dans leur entourage proche une personne ayant fait une tentative de suicide ou un suicide qui serait lié au travail.

Les échanges étant soumis au secret professionnel garanti par le statut d’avocat, ces signalements seront entièrement anonymes et serviront de base à l’élaboration d’un questionnaire de grande ampleur diffusé massivement au sein de toutes les administrations françaises (soit 25% de la population active). L’objectif est d’établir des statistiques les plus représentatives possibles dans le cadre d’un ouvrage scientifique, permettant d’établir le pourcentage de personnes exprimant des idéations suicidaires et une cartographie selon des critères multiples en lien avec le suicide (âge, corps d’appartenance, incidence des facteurs psychosociaux ou internes…)

Contacter l’adresse suivante pour obtenir le questionnaire ou le diffuser avant sa mise en ligne : contact@armide-avocats.com

Toute expérience permettant d’affiner les critères de recherche peut également être transmise (psychiatres, sociologues, DRH, psychologues…)

Qu’en est-il actuellement du suicide médiatisé du Professeur MEGNIEN?

Le parquet a décidé le 5 avril d’ouvrir une information judiciaire dans l’affaire de ce suicide réalisé le 17 décembre 2015 par défenestration du 7e étage de l’hôpital Pompidou à Paris.

Ouverture d’une information, qu’est-ce que cela signifie? En cas de mort suspecte ou sur plainte simple, le Parquet (Procureur de la République) ouvre une enquête préliminaire déléguée à la police afin d’enquêter sur les circonstances de ce drame. A l’issue d’un délai de trois mois (rarement suivi dans les usages puisque l’instruction d’une plainte dure plutôt 1 à 2 ans), le Procureur décide soit de classer sans suite, soit de renvoyer devant un juge correctionnel estimant qu’il existe suffisamment d’éléments permettant de qualifier une infraction, soit d’ouvrir une information. C’est le cas dans cette situation (articles 80 et suivants du code de procédure pénale).

L’ouverture d’une information entraîne la désignation d’un juge d’instruction qui va procéder à l’enquête. Le juge instruit à charge et à décharge en se basant sur l’enquête préliminaire déjà conduite. C’est souvent le cas dans des affaires complexes, parfois c’est obligatoire en cas de crime, mais surtout l’information (ou instruction) garantit un certain nombre de droits: l’accès au dossier, le secret absolu, la possibilité pour les parties civiles, les témoins assistés ou les prévenus de demander des actes (saisie de documents, auditions, confrontations, déplacement sur les lieux…).

L’ouverture d’une information ne préjudicie pas de la matérialité de l’infraction: ce n’est pas parce qu’il y a ouverture d’information qu’il y a infraction, il faut respecter la présomption d’innocence,  mais l’instruction permet d’être organisée dans un cadre régi par le code de procédure pénale et permet une participation active des auteurs présumés, victimes et témoins.

Le juge d’instruction garantit par ailleurs l’impartialité de l’enquête puisqu’il est totalement indépendant du parquet.

Aux dires de la presse, l’infraction visée initialement dans le cas du Professeur MEGNIEN serait le harcèlement moral. Mais le parquet a pu requérir sur d’autres types d’infractions comme la non assistance à personne en péril ou l’homicide involontaire par négligence, imprudence ou non respect d’une règle, la gestion des risques psychosociaux et le manquement à l’obligation de sécurité de résultat par exemple.

Il faut bien entendu conserver toute mesure sur l’appréciation des faits tant que l’instruction est en cours.

Mais cette affaire pose la difficile question de l’appréciation des faits en matière de suicide sur le lieu de travail.

Selon les spécialistes, le suicide a des causes multiples. En revanche, un seul facteur de risque peut déclencher le passage à l’acte.

Les personnes ne souffrant d’aucun trouble de la personnalité et étant soumises, du fait de conditions de travail dégradées, à un syndrome dépressif, peuvent longuement élaborer le passage à l’acte, parfois sans en parler. Elles se posent en général deux questions: la portée morale de leur acte et les conséquences que cela peut avoir sur l’entourage, leur vie ou les autres. Le lien familial ou les fortes responsabilités peuvent par exemple constituer un rempart contre le passage à l’acte.

L’être humain est doté de raison, il passe son temps à chercher des solutions. La gestion de la souffrance intérieure peut être une torture aggravée par un épisode dépressif et parfois, la mort devient le choix de la solution.

Lorsque le sujet décide, dans son monde intime, qu’il n’existe aucune autre alternative ou lorsque la souffrance est trop intense, il peut décider de se suicider. Le taux de suicide chez les hommes est beaucoup plus important que chez les femmes chez qui en revanche on comptabilise plus de tentatives.

On observe très souvent sur le lieu de travail un rejet absolu du suicidant par les témoins ou par la hiérarchie. Dans un mouvement assez fréquent, les témoins se réunissent pour rejeter la personne qui a tenté de se suicider, les plus proches aussi parfois, parce que la mort fait peur et parce qu’inconsciemment, on pense la victime atteinte de folie comme si elle pouvait être contagieuse. Il est essentiel de comprendre le process du suicide, lié au monde intime et intérieur de la personne, pour pouvoir le prévenir et surtout empêcher tout risque de récidive.

Personne n’est préparé à cet acte et pourtant, en situation de souffrance, les services des ressources humaines, assistants sociaux, psychologues au travail ou médecins de prévention devraient apprendre à reconnaître les symptômes alarmants. Parmi tous ces symptômes, il y a la souffrance exprimée par un agent, les multiples alertes qu’il peut lancer et l’incompréhension, l’absence d’écoute voire les moqueries que l’on peut lui opposer. En droit se pose aussi la question de la responsabilité: le travail constitue un tel lien social, n’est-il pas du devoir de l’employeur de tout mettre en oeuvre pour préserver la santé mentale et physique de ses employés? Mais jusqu’à quelle limite?

On constate dans nos sociétés que la plus grande détresse provient du manque d’écoute, du manque de temps pour réfléchir à des process et des organisations humaines et professionnelles pérennes. Certains sont moins bien armés que d’autres pour gérer ce stress et cette souffrance. Mais dans un pays dont l’histoire est liée à la recherche de justice sociale, on comprend mal comment on peut valoriser sur le lieu de travail le plus malin, le plus manipulateur et à qualité professionnelle égale, écarter et isoler celui qui sera moins compétitif. C’est d’autant plus incompréhensible dans des systèmes liés au soin et à la justice.

Espérons qu’au-delà de ce drame médiatisé, alors que d’autres continuent de souffrir en silence, il y ait une vraie prise de conscience éthique qui commence d’abord par la tolérance, l’acceptation de l’autre dans sa différence, son histoire, ses fragilités et sa vision du monde. Peu importe l’habit, la qualité ou la position sociale… Baudelaire disait d’un enfant riche et d’un enfant pauvre qui jouaient ensemble séparés par la grille d’une propriété que leur sourire était d’une égale blancheur…

Et pour finir sur une note d’optimisme, n’oublions pas qu’en ces temps noirs, alors que la guerre est partout même au travail,  RESISTE!!! Lisons ou relisons aussi le courage chez Aristote..et la prudence...des valeurs en perdition qui devraient pourtant être au fondement de toute action et de tout jugement.