Les choses humaines, c’est le dernier ouvrage de Karine TUIL publié aux éditions Gallimard en août 2019 et récompensé par les prix Interallié et Goncourt des lycéens.

Qu’est-ce qui en fait une lecture remarquable? C’est un ouvrage d’une parfaite pédagogie sur la place de la domination masculine, du sens du féminisme, du consentement, du poids de l’éducation, du pouvoir, du temps qui passe…bref, tous ces sujets réunis autour de l’histoire d’un couple, Jean, journaliste politique puissant, influent, vieillissant, qui veut conserver son aura et son pouvoir, et Claire, écrivain, féministe, bien plus jeune que lui. L’histoire de leurs contradictions intellectuelles et comportementales, l’histoire d’une femme de l’ombre, sacrificielle, l’histoire de la déchéance physique et sociale, et l’histoire de leur fils, Alexandre qui, comme une éponge aura absorbé les désirs, desiderata et folies de ses parents puis vivra sa propre histoire, celle d’un viol.

La seconde moitié de l’ouvrage raconte le procès, d’une brillante exactitude et d’une profonde humanité parce qu’on se demande au fond, qui est coupable? En filigrane, c’est le procès de deux familles, le questionnement de soi, de ce que l’on a voulu, de ce que l’on n’a pas eu, des mensonges à soi-même, du temps perdu et d’un sombre gâchis.

L’écriture est époustouflante: avec autant de sujets, tout est couvert avec exhaustivité, sans négliger aucun développement, dans une logique de trame particulièrement analytique.

Cette histoire, celle d’hypocrisies sociales, de pressions conscientes et inconscientes sur les enfants, les adolescents, les amis ou encore les subalternes, de narcissisme à tous les niveaux et d’exercice du pouvoir, nous rappelle que tout le monde, un jour peut basculer, et que la domination par la sexualité est devenue si banale qu’au fond, n’importe qui, y compris celles qui se pensent féministes, l’ont interiorisée. L’excipit est brillant mais il serait difficile d’en dire plus, sans divulgâcher. Au-delà d’une culture sociale, l’auteure interroge sur l’avenir et imagine une sombre apocalypse possible des rapports humains urbains et bourgeois. Ce monde dans lequel on a tout, la reconnaissance sociale, l’argent, le pouvoir mais où manque l’essentiel.

Un ouvrage à mettre entre toutes les mains, celles de nos jeunes, celles des hommes mais aussi celles des femmes qui, dans leurs combats, peuvent, sans s’en apercevoir, continuer à adopter des postures de soumission ou se radicaliser à l’inverse. Un électrochoc pour réveiller les consciences. Une écriture sombre, presque clinique, qui rend le récit d’un incroyable réalisme. Un livre qui devrait tous nous interroger sur le sens. Le miroir de nos comportements actuels. Glaçant. Brillant.

Les choses humaines, c’est un ouvrage sur la dignité humaine, prendre conscience de la sienne pour respecter celle de l’autre.

En voici quelques extraits:

« L’absolutisme contingent du désir – Adam et elle ne s’étaient plus quittés alors qu’au moment de leur rencontre, aucun des deux n’était en quête d’une aventure; aucun des deux n’avait vraiment envie d’éprouver son équilibre familial, ils étaient alors les habiles mystificateurs du bonheur conjugal. On les citait en exemple. Des modèles de stabilité. Une fiction nécessaire dans une société qui avait fait de l’exhibition d’un bien-être virtuel le baromètre de la réussite sociale« .

(…)

« Jean ne réagit pas. Il avait fait ce qu’il avait pu avec ce qu’il avait eu à sa naissance. Il avait aimé, désiré, travaillé avec passion. Son seul tort était d’avoir manqué de psychologie – un mot qu’il détestait -, qu’y avait-il à comprendre? Rien. On restait opaque à soi-même.

-Tu as pensé à ton fils? Comment réagirait-il si un jour il l’apprend?

– Il ne l’apprendra pas. Souviens-toi de ce que je t’ai dit. Si tu parles, tu perds tout: ta réputation, ton travail que tu aimes tant, tu seras radié de l’ordre des médecins.

-Au moins, je serai en paix avec moi-même.

(Jean) Farel eut un petit rire nerveux puis, ouvrant la porte pour sortir, ajouta:

-Tu sais ce qui arrive à ceux qui pensent qu’on peut vivre en respectant les lois morales? Tôt ou tard, ils finissent par être piétinés. »