Avant mars 2020, les élucubrations du Pr Didier RAOULT n’étaient connues que localement, et pas qu’un peu. Dès l’origine probablement…

En 2015, l’IGAS et l’IGAENR (les corps d’inspection respectivement du Ministère de la Santé et du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) avaient publié un rapport accablant sur la gestion autocratique de l’IHU Méditerranée et les conflits d’intérêts majeurs entachant la noblesse politique du projet initial créé sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, pour valoriser la recherche française au niveau international.

Puis en 2017, nouveau scandale de harcèlement moral et sexuel générant une révolution interne anonyme, par crainte des représailles, qui se sont pourtant réalisées…quelques sanctions, une politique du « pas de vague », et la féodalité a repris.

Quelques mois plus tard était dénoncé  le conflit d’intérêts avec la présidence du conseil d’administration, problématique déjà soulevée dans le rapport officiel de 2015. Rien n’a changé, l’Assistante publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM) n’a pris aucune mesure, pas plus qu’aucun des autres partenaires: aucune poursuite, aucune modification interne et durant tout ce temps, des personnels inféodés, des luttes claniques, un régime de terreur…

Si « l’affaire RAOULT » a été hautement médiatisée, c’est une simple question d’opportunité, au regard de l’actualité sanitaire, car il faut avouer que ce qui se passe au sein de l’IHU Méditerranée est une quasi normalité dans le monde hospitalo-universitaire. Dans toutes les villes, dans tous les hôpitaux, dans tous les centres de recherche, avec des spécificités liées aux personnalités et aux enjeux politiques de terrain.

Inutile d’aller chercher trop loin les raisons de l’échec cuisant de la recherche française dans le cadre de la crise sanitaire: cette recherche est gangrenée par les luttes de pouvoir.

Il faut le voir pour le croire.

Les IHU sont des usines à gaz juridiques avec des détachements de personnels payés par les fondateurs, affectés au gré des politiques, recherches, actualités ou desiderata de la direction. Peu de contrôle, un maillage de responsabilités si dense et complexe qu’il est presqu’impossible d’y garantir le moindre contrôle, la moindre déontologie. Ce qui se voulait le fleuron de notre recherche est devenu un Etat dans l’Etat, une zone quasi hors de tout contrôle de l’Etat de droit.

Ce mal endémique touche toute la recherche française, avec des pointes de cruauté particulières dans la recherche hospitalo-universitaire: mandarinat, collusions, combats à mort parfois pour récupérer un service, des personnels, des projets…et dans quel but? Le pouvoir…La plupart des Professeurs des Universités – Praticiens hospitaliers sont très proches des milieux politiques et des personnalités en vue en général, ils soignent les puissants, les célébrités, conseillent les élus…n’en a-t-on pas eu la meilleure des illustrations durant la pandémie?

Au détriment des soignants de terrain qui ont le souci du patient et le respect du secret médical, et qui eux, désertent les couloirs misérables d’une institution hospitalière délabrée.

Il existe les « pro-Raoult » touchés par sa personnalité hors norme, son aura médiatique, sa réputation internationale, sa toute-puissance, et les contra, agacés par le spectacle perpétuel, que la Covid-19 a mis en lumière pour un temps. Peu de rationalité dans ce véritable show, quelques affaires judiciaires curieusement discrètes et puis une enquête, celle d’Ariane CHEMIN et Marie-France ETCHEGOIN, parue chez Gallimard en 2021. Une enquête toute en rondeur quelque peu cynique, qui présente ce personnage en véritable héros romanesque sans masquer pour autant ses failles, son hypertrophie du moi, ses alliés, ses clans, sa cruauté. Le titre résume en soi assez bien la problématique: une folie française.

On peut s’interroger en effet sur la passion que déchaîne ce sulfureux personnage…il est craint, il dispose d’un droit de vie et de mort sur l’intégralité de ses personnels, il met littéralement sous emprise, c’est un autocrate et il faut croire que par terreur ou admiration, il est depuis longtemps intouchable. L’enquête essaie de comprendre sans juger, racontant les différentes étapes de son existence, donnant des clefs pour aller fouiller davantage et se faire une véritable opinion, c’est-à-dire pas celle que l’irrationalité du moment empêche de se forger en toute lucidité.

Ce qui est surprenant c’est que l’on y retrouve tout ce qui gangrène une démocratie : l’omerta, la terreur, la contrainte, la transgression…partout où l’Etat est défaillant. Il ne s’agit nullement de médecine mais d’une fascination française pour le pouvoir centralisé, pour la féodalité, pour un management d’un autre temps, celui des rois et des seigneurs, où la colère du peuple était constamment réprimée, où la rébellion ou la simple contestation étaient sévèrement voire sauvagement réprimés.

A qui profite le crime?

Notre longue expérience des situations de violence interpersonnelle et institutionnelle dans le secteur hospitalo-universitaire nous fait conclure que le mandarinat ne peut prospérer que parce que les hôpitaux et universités le cautionnent, encore aujourd’hui, après la crise mondiale que nous avons vécue. Espérons que la judiciarisation de ces scandales d’Etat, car ils en sont, permettra de mettre un terme à un fonctionnement totalement anti-démocratique qui porte en premier lieu atteinte aux patients et au positionnement de la France en matière de recherche. La science, comme la justice, comme le soin, ne sauraient se contenter de campagnes de communication via les réseaux sociaux, de surenchère d’exploitation des peurs, dans le seul objectif de cliver le pays: l’axe Paris-Marseille en l’espèce, l’Etat de Droit versus la transgression opportuniste sous couvert de « médecine de guerre », les pro-vaccins ou anti-vax, finalement pour servir le pouvoir d’une minorité, en étouffant les contestations possibles, la simple réflexion, la solidarité, le collectif.

Dans quel but? La préservation des privilèges. Vieux comme le monde.

Nous sommes bien en 2021. En s’y attardant un peu, on se croirait au temps du Moyen-Âge…

RAOULT se dit anti-système? Il représente dans les faits les failles endémiques de la démocratie, car sans la protection du pouvoir en place, il ne pourrait exister. Le Pr RAOULT en connaît toutes les brèches, il les exploite, dans un silence quasi assourdissant de sujétion voire d’inconscience. Et c’est peut-être dans le fond, ce qui fait le plus peur: l’autocratie, en particulier dans le secteur du soin, avec un hôpital en désertion qui ne brille que par ses luttes de pouvoir, est un échec pour l’Etat de Droit. On ne peut s’autoriser un jeu de cirque sur des sujets aussi essentiels que le vivre-ensemble, pouce en l’air (like) pour laisser en vie, pouce en bas (dislike) pour mettre à mort, une opinion, une carrière, un projet.

RAOULT se compare à Philip K. Dick…Utilisant le dénonciateur suprême des aliénations de l’Homme, à travers des fictions majeures qu’il fait sienne, Didier RAOULT semble sorti tout droit de l’un de ses romans, pas forcément du bon côté de la force. On peut avoir raison, de grandes idées et même un esprit supérieur ou encore un buste de soi dans l’entrée de son appartement…mais quand il s’agit de l’inscrire en marge de l’Etat de Droit, au mépris de toutes les règles qui fondent le vivre-ensemble, et de ses sujets, quand il s’agit de rire du peuple en étant co-allié avec certains puissants de l’ombre, est-ce l’expression d’une vraie liberté et d’une force collective ou d’une mafia ? On peut blâmer le personnage…mais on doit surtout s’interroger sur une seule chose: comment peut-il rester aussi longtemps là où il est? C’est peut-être dans cette réponse que se trouve l’origine des failles démocratiques.

«  »On ne peut qu’être « ébloui » devant la « puissance de son raisonnement » et sa « logique démonstrative » en forme de rouleau compresseur, pense déjà (et encore aujourd’hui) Muselier. A l’hôpital Houphouët-Boigny aussi, l’interne Raoult ne se prive jamais de « l’ouvrir ». L’étudiante Michèle Rubirola, future et éphémère maire de Marseille, est externe dans le même service que lui. Elle le trouve « macho, grande gueule, ingénieux, brillant. » Et résolument de droite.

Comme elle, tous les anciens condisciples de Didier Raoult ont peine à y croire lorsque, trente ans plus tard, ils l’entendent faire le parallèle entre son IHU et une expérience nourrie aux idéaux de 1968: l’université libre de Vincennes. Un « nid d’opposants de gauche de génie » s’extasie-t-il. Foucault, deleuze, Baudrillard, étaient « des anarchistes qui ne respectaient plus rien. » Ils ont fabriqué « la pensée la plus puissante qui soit », une pensée que le professeur enrôle régulièrement dans ses indignations contre le « formatage » des grandes écoles ou la « normalisation » de la recherche. Il peut se le permettre puisque, confie-t-il dans son bureau du destin, il a été un « lecteur du Nouvel Observateur » du temps où l’hebdomadaire était le porte-voix de ces philosophes.

Voila d’ailleurs pourquoi il comprend mieux que les « soi-disant experts » ce qui advient aujourd’hui. Baudrillard, par exemple, a écrit, bien avant l’épidémie de Covid, « l’une des anticipations les plus justes » sur les mécanismes de « distorsion de la réalité » qui créent les « grandes peurs » collectives. Mais en matière de prémonition, professe toujours Raoult, personne n’a été aussi clairvoyant que Philip K. Dick. Le patron de l’IHU tient l’auteur de science-fiction pour l »‘un des plus grands philosophes du XXé siècle » parce qu’il a « compris avant tout le monde que la politique ressemblerait de plus en plus à un simulacre » et ses représentants à des « hologrammes ».

Raoult pense comme K. Dick. A ses yeux, Macron ou Sarkozy, Merkel ou Johnson sont à peu près tous aussi impuissants. « Ils ne jouent aucun rôle dans la cinétique » des grands ou petits événements. De toute façon, le temps où la politique était « héroïque, offensive, pleine de bruit et de fureur » est terminé. La recherche et la médecine? C’est pareil, laminées par « l’égalitarisme. » « A hôpital, comme ailleurs, ordonne Raoult, on ne peut pas vivre sans patron. » Et arrêtons, sous prétexte « d’empêcher les petites dictatures » de retirer « leur autorité à ceux que l’on nomme les chefs ». Lui, donc. Surdiplômé et multidécoré. Combien de fois l’a-t-il répété devant les caméras quand on lui a demandé si son opposition au gouvernement et à la majorité de la communauté scientifique sur le Covid ne procédait pas d’une revanche à prendre sur ceux d’en haut. « Mais l’élite, c’est moi! » martèle chaque fois celui dont les « antisystèmes » ont fait leur icône. Une erreur de casting? Pas tout à fait. Dans les années 1980, déjà, Raoult joue sur plusieurs tableaux. Provocateur, comme lors de son bref et adolescent engouement soixante-huitard, mais aussi habile politique. De droite, certes, mais non encarté et capable de s’entendre avec la gauche. » (pp 57-58)

L’affaire Raoult rappelle l’excipit de Madame Bovary, apologie d’une médiocrité admise: « Depuis la mort de Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans pouvoir y réussir, tant M. Homais les a tout de suite battus en brèche. Il fait une clientèle d’enfer; l’autorité le ménage et l’opinion publique le protège. Il vient de recevoir la croix d’honneur »