Une lecture comparée de trois ouvrages nous questionne en ce dimanche sur le rôle et la puissance de l’amour.

Encore étourdis par le roman la Princesse de Clèves, nos rapides recherches nous ont conduits sur le site de Gallica vers un non moins intéressant mais plus anonyme ouvrage « Pensées diverses et de toutes saisons – Pour ou contre l’amour, les femmes, le mariage et le reste« , publié par Celebs en 1871, soit 200 ans après le monument de Mme de La Fayette.

Si le premier ouvrage, empreint de jansénisme, développe la force de la passion à travers la vertu et le devoir, mais aussi le paraître, le second, à l’époque romantique, déchire dans un cynisme à peine voilé, pour présenter la femme diablesse et l’amour comme faiblesse parmi les faiblesses. Alors dans le fond, ces deux ouvrages confirmeraient-ils que l’amour n’est qu’une utopie pour les cœurs lâches, la pire des corruptions?

Lisons de façon croisée ces deux auteurs d’un autre temps mais dont les questions et tourments, au fond, nous rappellent qu’aujourd’hui, au travail, dans la cour de récréation ou au plus haut sommet de l’Etat, la préciosité version 2.0 reste d’actualité et il fait bon, parmi ce qui paraît le plus évident, de toujours se poser la question essentielle de cette incontournable, déchirante et non assumée dualité, opposition, déchirure et inaliénable aliénation, l’amour d’un homme et d’une femme, dans toutes ses formes. A l’époque, on ne parlait pas de l’amour entre personnes de même sexe…qu’aurait-été l’amour de La Princesse de Clèves pour Madame la Dauphine?

On a beaucoup lu sur le cœur brisé des femmes et l’inconstance des hommes…un bel exemple dans beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare…. »Sigh no more, ladies, sigh no more, men were deceivers ever, one foot in sea, and one on shore, to one thing constant never… »

Mais en ce temps, on lisait surtout l’incompréhension de l’homme pour la passion amoureuse, la femme manipulatrice objet du tourment et derrière l’intemporalité de la mysoginie de Celebs, on peut y déceler peut-être un coeur brisé…c’est ce qu’une femme aimerait y voir, à moins que ce ne soit tout simplement l’ode absolue à la déconsidération du sexe faible?

Dans une ère où la liberté de la femme – illusoire ou réelle mais difficilement acquise – semble menacée, relisons ces classiques et posons nous la vraie question du sens de l’amour…chacun y verra son histoire, ses projections, son idéal, sa motivation. Mais gageons que dans un monde où l’amour profond disparaît au profit d’un consumérisme parfois assumé, l’utopie a du bon et savourons ce cynisme comme un bonbon….

Entre ces deux auteurs, nous avons choisi d’y glisser Camus et la vision de la femme par Jean-Baptiste Clamence dans La Chute…pour la beauté de ce texte, sa froideur et sa dureté, qui interrogent sur la solitude, le désespoir et la pénitence…L’amour ne serait donc pas un remède de vie…à méditer.

« Il y a des personnes à qui on n’ose donner d’autres marques de la passion qu’on a pour elles que par les choses qui ne les regardent point; et, n’osant leur faire paraître qu’on les aime, on voudrait du moins qu’elles vissent que l’on ne veut être aimé de personne. L’on voudrait qu’elles sussent qu’il n’y a point de beauté, dans quelque rang qu’elle pût être, que l’on ne regardât avec indifférence, et qu’il n’y a point de couronne que l’on voulut acheter au prix de ne les voir jamais. Les femmes jugent d’ordinaire de la passion qu’on a pour elles par le soin qu’on prend de leur plaire et de les chercher; mais ce n’est pas une chose difficile pour peu qu’elles soient aimables; ce qui est difficile, c’est de ne s’abandonner pas au plaisir de les suivre; c’est de les éviter, par la peur de laisser paraître au public, et quasi à elles-mêmes, les sentiments que l’on a pour elles. Et ce qui marque encore mieux un véritable attachement, c’est de devenir entièrement opposé à ce que l’on était et de n’avoir plus d’ambition ni de plaisir, après avoir été toute sa vie occupé de l’un et de l’autre« . Duc de Nemours à la Princesse de Clèves in La Princesse de Clèves, Mme de La Fayette, 1678.

« Je crois devoir à votre attachement la faible récompense de ne vous cacher aucun de mes sentiments et de vous les laisser voir tels qu’ils sont. Ce sera apparemment la seule fois de ma vie que je me donnerai la liberté de vous les faire paraître; néanmoins je ne saurais vous avouer, sans honte, que la certitude de n’être plus aimée de vous, comme je le suis, me paraît un si horrible malheur que, quand je n’aurais point des raisons de devoir insurmontables, je doute si je pourrais me résoudre à ce malheur. Je sais que vous êtes libre, que je le suis, et que les choses sont d’une sorte que le public n’aurait peut-être pas sujet de vous blâmer, ni moi non plus, quand nous nous engagerions ensemble pour jamais. Mais les hommes conservent-ils de la passion dans ces engagements éternels? Dois-je espérer un miracle en ma faveur et puis-je me mettre en état de voir certainement finir cette passion dont je ferais toute ma félicité? M. de Clèves était peut-être l’unique homme du monde capable de conserver de l’amour dans le mariage. Ma destinée n’a pas voulu que j’aie pu profiter de ce bonheur: peut-être aussi que sa passion n’avait subsisté que parce qu’il n’en avait pas trouvé en moi. Mais je n’aurais pas le même moyen de conserver la vôtre: je crois même que les obstacles ont fait votre constance. Vous en avez assez trouvé pour vous animer à vaincre et mes actions involontaires, ou les choses que le hasard vous a apprises, vous ont donné assez d’espérance pour ne vous pas rebuter. » La Princesse de Clèves au Duc de Nemours in La Princesse de Clèves, Mme de La Fayette, 1678.

 

 

« Il faut d’abord savoir que j’ai toujours réussi, et sans grand effort, avec les femmes. Je ne dis pas réussir à les rendre heureuses, ni même à me rendre heureux par elles. Non, réussir, tout simplement. J’arrivais à mes fins, à peu près quand je voulais. On me trouvait du charme, imaginez cela! Vous savez ce qu’est le charme: une manière de s’entendre répondre oui sans avoir posé aucune question claire. Ainsi de moi, à l’époque. Cela vous surprend? Allons, ne le niez pas. Avec la tête qui m’est venue, c’est bien naturel. Hélas! après un certain âge, tout homme est responsable de son visage. Le mien…Mais qu’importe! Le fait est là, on me trouvait du charme et j’en profitais.

Je n’y mettais cependant aucun calcul; j’étais de bonne foi, ou presque. Mon rapport avec les femmes était naturel, aisé, facile comme on dit. Il n’y entrait pas de ruse ou seulement celle, ostensible, qu’elles considèrent comme un hommage. Je les aimais, selon l’expression consacrée, ce qui revient à dire que je n’en ai jamais aimé aucune. J’ai toujours trouvé la misogynie vulgaire et sotte, et presque toutes les femmes que j’ai connues, je les ai jugées meilleures que moi. Cependant les plaçant si haut, je les ai utilisées plus souvent que servies. Comment s’y retrouver? Bien entendu, le véritable amour est exceptionnel, deux ou trois fois par siècle à peu près. Le reste du temps il y a la vanité ou l’ennui. (…)

La sensualité n’est pas répugnante, elle. Soyons indulgents et parlons d’infirmité, d’une sorte d’incapacité congénitale à voir dans l’amour autre chose que ce qu’on y fait. Cette infirmité, après tout, était confortable. Conjuguée à ma faculté d’oubli, elle favorisait ma liberté. Du même coup, par un certain air d’éloignement et d’indépendance irréductible qu’elle me donnait, elle me fournissait l’occasion de nouveaux succès. A force de n’être pas romantique, je donnais un solide aliment au romanesque. Nos amies, en effet, ont ceci de commun avec Bonaparte qu’elles pensent toujours réussir là où tout le monde a échoué. » La Chute, Camus, 1956

« La femme ne raisonne guère et comprend encore moins; chez elle, tout n’est qu’émotion nerveuse »

« Bout de dialogue: « mais Monsieur, je vous ferai observer que tout en n’étant qu’une femme, je…. »- « c’est déjà quelque chose en effet, répondis-je »

« Si chaque jour nous avions un teneur de livres des folies amoureuses, il lui faudrait de bien gros registres pour les inscrire ».

« De préférence à la vertu et à la syntaxe, l’amour s’apprend de nature, par la pratique; pas besoin d’exemples pour le retenir »

« L’homme souffrant de cœur n’a pas toujours de sujet à aimer, et digne de l’être »

« Vous êtes célibataire, donc vous restez quelqun. Aimez toujours le célibat, cause déterminante du bien et du dévouement, et mobile de la vertu »

« Je ne sais à qui donner le prix de la malhonnêteté, au financier ou à l’amoureux »

« Femme, abrégé du mal, esclave de la volupté, tu as brisé avec la nature qui t’avait faite bonne, en lui empruntant ses défauts. Ton égoïsme a temps pour tout. Superficielle, tu te donnes à l’amour et arrives par lui à tes fins. Tu caresses l’homme en le fascinant comme le serpent, à l’affût d’une proie. Vigilante, ainsi qu’une chatte, tu fais sentir le velours de tes mains, pour mieux réserver tes griffes; toujours sur le qui-vive, sous prétexte de défendre ta vertu périmée, tu attaques le cœur indépendant et généreux de l’homme de qui tu procèdes; mais la surprise est ton rôle, tu ne sommeilles que pour, en rêvant, passer la revue de tes victimes. L’homme est un bipède trouvé pour l’épuisement de la coupe de tes félineries. Ta haine ne connaît que le poignard, le revolver ou le vitriol; tels sont les plus doux instruments dont se sert chaque jour ta jalousie. Quelles mœurs, quelle destinée! A quand l’expiation, le châtiment suprême de tes innombrables forfaits et de tes scélératesses, chétive, misérable créature? » Extraits de Pensées diverses et de toutes saisons, op. cité, Celebs, 1871