Le service a repris sa routine, les équipes sont en place… commencent alors à se succéder les réunions de service, celles que l’on ne nomme plus, regroupant les pôles, les directeurs, les adjoints, les agents, au gré de l’agenda et des priorités du moment, parfois sans véritable anticipation, parfois dans la désorganisation ordonnée, bref… les réunions de service, dans la fonction publique, c’est un usage presqu’inscrit dans le marbre, le moment de rappeler son existence, ses ambitions, assoir un pouvoir ou l’antichambre de la destitution.

La réunion de service c’est aussi le temps utilisé, la sensation d’avoir avancé, un lieu de « dialogue monologué« , c’est un peu une scène politique où chacun pourrait s’exprimer mais où à la fin du jeu, c’est toujours le même qui décide.

Athos est pressentie pour un nouveau projet et ce n’est pas peu dire…chargée de mission, elle va devenir traductrice pour le compte d’un autre, vers une autre langue ou vers une langue intelligible qui sait…c’est que la fiche de poste élargit son champ, il faut savoir saisir ses opportunités. Etre fonctionnaire c’est aussi être polyvalent car il n’existe qu’une seule mission, peu importe qui et comment on y arrive: l’intérêt du service… dogme ou croyance, conviction ou illusion peu importe, c’est lui et lui seul qui guide le quotidien et l’on s’y plie car n’oublions pas…le fonctionnaire est soumis à un devoir d’obéissance. Quant à la notion d’ordre juste justifiant la soumission, c’est là le débat éthique de toute forme d’autorité…l’ordre du jour d’une prochaine réunion?

L’automne vient

Les américains ont le baseball, les brésiliens le foot, chez nous, on a la réunion, et une sacrée équipe d’athlètes dans ce domaine…

« Je sors d’une réunion de 4 heures ». Pour beaucoup, ce constat ne serait pas une fierté mais un sentiment de consternation qui sous-tendrait une question comme « l’intervenant vous a séquestré? ». Mais, point de ça chez nous. 4 heures, c’est quand même une grande fierté, et il y a peut-être même des points bonus à la clé. Une réunion c’est toute une partie de l’agenda qui se remplit d’un coup. C’est la révision de ses conjugaisons : « demain, je serai en réunion », « je suis en réunion », « hier, j’étais en réunion ». C’est un lieu de rencontre, là où il faut voir et être vu. Nos petites mondanités à nous, croisées à notre sport phare.

Que se passe-t-il au cours de cette épreuve? Les athlètes s’alignent, rentrent dans l’arène et c’est parti pour un échange plus ou moins convaincant (et plus ou moins utile) d’une durée indéterminée. Celui qui réussira à emporter le dernier mot pourra clore la partie. Certains s’improvisent arbitres, d’autres jouent les blessés pour quitter le terrain plus vite, quelques stratèges ménagent leur force pour ne rentrer dans la bataille que quand ils sentent l’adversaire déjà fatigué. Qui du marathonien du blabla ou du sprinter final du baratin remportera l’épreuve?

Certaines parties sont sans suspense. Un peu comme un match PSG – Nogent-le-Rotrou. D’autres tiennent un minimum en haleine. Et d’autres sont du domaine du curling et nous entrainent dans des dimensions parallèles. C’est le cas de la réunion du jour. « Réunion d’automne » comme disait le mail. Il faudra que l’on pense à adresser une lettre de remerciement à l’organisateur du dernier séminaire de management qui a convaincu nos champions de poétiser leurs formulations. Bienvenue au cercle des hiérarques disparus… Mais que va devenir l’incontournable  « pot du beaujolais » avec nos nouveaux poètes ?

10 heures, approvisionnés à notre source de café pour tenir au moins les premières 30 minutes, l’attention est à son comble.

« Bonjour à tous, merci d’être venus aussi tôt pour notre réunion de rentrée » – De rien, tu penses, 10 heures… on a Jocelyne en perdition qui finira sa nuit cet aprèm, Karine à peine libérée du RER qui réalise qu’elle a la tototte de son fils à la main; mais on est tous là, on frôle l’exploit.

« Je vais commencer directement par un point d’organisation. Je ne vous apprends rien en vous disant que la situation économique actuelle nous impose de faire des économies ». Hochements de têtes concentrés. Il attaque fort. Malin Highlander, on est encore dans le café.

« Nous avons donc pris la décision de fusionner notre secrétariat avec celui de la direction des ressources humaines dans le cadre du départ à le retraite de leur secrétaire » – Pas bête…

« Une mutualisation de nos ressources en fait, un peu comme Émile et Images ». Ah oui, avais-je oublié de signaler que la réunion était co-animée par Christine? Ce genre d’évènement est l’occasion d’un enjeu parallèle : débusquer toutes les références à la scène musicale des années 80, et si on est particulièrement doué, en glisser une nous aussi.

« Une meilleure coordination de nos services devra bien sûr être mise en œuvre » – Et là, on part de tellement loin niveau coordination, qu’il ne faut pas attendre un miracle immédiat. Car, déjà entre nos trois adjoints, rien ne va plus. Jo aimerait empiéter sur les attributions de Christine qui elle-même râle que Bob ait obtenu l’international, et lui-même voudrait autant d’agents sous ses ordres que Jo. Donc se coordonner avec un autre service et d’autres adjoints pour se partager un secrétariat, ça renifle le challenge.

« Je vous propose maintenant un tour de table pour que vous puissiez chacun évoquer vos actualités » – la technique idéale pour favoriser la communication et l’échange d’information dans le service mais aussi, pour certains de s’épancher sur de vrais drames professionnels (une pénurie d’agrafes dans la photocopieuse?!) ou de tenter de se mettre en avant coute que coute pour un potentiel avancement.

Une heure trente plus tard, après la démonstration d’une réforme nécessaire des procédures et l’interrogation sur la couleur des pochettes pour le dossier informatique, Highlander est prêt à conclure. « Je pense que nous avons pu être exhaustifs. Avant de vous libérer, un dernier point : qui est à jour en anglais? ». Cette simple question en réunion est capable de réanimer les troupes et déclencher une Ola générale à l’idée de pouvoir décrocher une éventuelle prime pour ses capacités de linguiste ou juste pour faire partie de la prochaine mission à l’étranger. A l’inverse, la question « qui est à jour de ses vaccins? » déclenche un enthousiasme bien plus modéré car on sent venir la mission « palu-tourista ».  C’est donc la phrase qui suit qui permet de savoir si en fait, on a un planning familial compliqué, une intolérance au gluten qui, si si, est préjudiciable dans cette situation, ou toute autre excuse parfaitement valable et crédible.

En l’espèce, il s’agit ici d’accompagner Bob qui va rencontrer ses homologues étrangers. Autant dire que des crampes dans les bras se sont fait sentir pour la majorité des présents qui préfèrent renoncer à cette « opportunité ». Bob peine à aligner deux mots d’anglais mais gère plus facilement 3 verres de rouge. Si on visitait des distilleries, on pourrait faire illusion, mais dans une réunion plus formelle, les choses se compliquent. Mon chromosome écossais planqué dans mon ADN frémit donc du kilt à l’idée d’être repéré pour cette mission suicide, et à juste titre. « Athos, vous accompagnerez Michel. Vous parlez anglais et au regard de vos missions transversales dans le service, vous pourriez être très utile. Jérémy viendra également puisqu’il suit plus particulièrement le Farghestan ». Jérémy, l’adjoint de Bob : aussi franc qu’un âne qui recule et les canines plus acérées que Dracula. Highlander marque un point : j’ai bien la transversalité de la poisse. Maudite, je suis.