« Ô bruit doux, de la pluie, parterre et sur les toits« …
Ce poème de Verlaine est fermement ancré dans ma mémoire d’enfant. Nous l’avions chanté en cours de musique, je me souviens avec précision de l’émotion du texte, c’était mon poème. Nous étions nombreux à donner de la voix, je me sentais seule dans l’âme du poète. Simple, profond, terriblement connecté au monde extérieur et à son immuable destinée, à l’horloge qui tourne inlassablement, à ces gouttelettes inévitables, à cette poésie lugubre et noire, profondément envoûtante.
Dans le Midi il pleut rarement et lorsque c’est le cas, le bruit de la pluie génère une douce mélancolie que ce poème sublime. De Rimbaud je ne connaissais que le Dormeur du Val. La sublimation de la mort, l’injustice de la guerre, la banalité du destin…choquant, déroutant, interpellant. Mais à 8 ans, ce n’était pas vraiment ce que je voulais savoir de la vie. La chute brisait la beauté du paysage décrit, je préférais le bruit de la pluie. Son pas lent, la possibilité d’y voir une autre fin, son émotion furtive qui laissait espérer un ciel limpide et une mer d’huile, après la violente tempête. Somme toute, un message d’espoir.
Après « un été avec Homère« , j’étais curieuse de savoir ce qui avait intéressé Sylvain Tesson dans Rimbaud. Pourquoi maintenant en 2021. Pourquoi ce poète tant décrypté, admiré, si banal somme toute, qui fait, au fond, partie du domaine public. Maintes fois étudié à l’école, porté aux nues par Pattie Smith qui en a fait sa propre histoire de poète… Quel lien avec le nature writing, la quête, l’auteur observateur et distant du monde, au monde?
Quel tourbillon de mots, de sentiments contrastés et d’incompréhension…si la lecture m’a semblé parfois décousue, voire ennuyeuse, la fin de l’ouvrage a éclairé d’une pâle lumière la noirceur de cette tempête de mots. Tesson fait souvent référence à Homère, exploré en littérature et dans sa propre existence: il nous conte la quête, la fuite, le sens, le vide. Il en fait au fond le squelette et l’âme de toute existence déchue.
L’oeil du cyclone.
L’artiste est condamné à errer.
A souffrir.
« Un an près son « Je est un autre », il trace ceci:
« Ces milles questions
Qui se ramifient
N’amènent au fond,
Qu’ivresse et folie. »
Oui, le « je est un autre » est un jeu dangereux.
Quand on est double, il y a toujours une part de soi pour vouloir la peau de l’autre. »
D’où l’on apprend que Rimbaud aura eu une vie de poète maudit et incompris, sauf de Verlaine qui l’a néanmoins aspiré dans des abîmes dont il aura eu du mal à se relever. Cruelle et mortelle association, il faut croire que la morale a été le pire ennemi du jeune poète. Parti en Afrique exercer un métier sans sens ni intérêt, il mourra à Marseille, ville portuaire, de mouvement, de départ, d’un cancer des os. Jeune. En ayant tari la source de ses écrits durant plus de 10 ans.
Rimbaud ne fut que douleur et perdition, laissant des traces de sa frêle existence dans sa poésie. Le livre commence par un voyage, celui de l’auteur sur les lieux de l’enfance du poète. Il se termine sur la géographie, encore…Sylvain Tesson aime le voyage, la quête…et l’existence ramène toujours à cette inlassable question: où se situe le bonheur? Est-il accessible? La beauté ne réside-t-elle pas dans la douleur?
« De l’Ardenne à Aden, Rimbaud chemine avec sa douleur. Elle ne fut jamais sage en réclamant le soir. Peut-être est-elle la conséquence du dérèglement des sens. On ne sort pas indemne de vouloir renverser l’ordre. Rimbaud prit-il plaisir à la dégradation? Pour nous autres qui aimons nous éclairer (de loin) au brasier de Rimbaud, la question court: qu’as-tu fait de ta douleur, Arthur? L’aimas-tu ou cherchas-tu à la fuir?
Qu’est-ce qu’une poésie qui ne s’écrit pas dans la douleur? Une chanson de variété « .
Cet extrait résume à lui seul l’époque, le poète, mais aussi l’âme de l’auteur: romantique. Un véritable héritage du 19e siècle. Une période si riche d’écrits, de sublimation et de questionnements. Le Sturm und Drang. La tempête, encore. Si l’auteur tente, avec raison, de se détacher de l’aspiration du cyclone, il n’en aime pas moins sa destinée car dans le fond, c’est sa nature. De la grenouille et du scorpion. Peut-on échapper à son destin? Une question bien homérique, encore.
Il ressort de cet essai, fulgurant comme l’éclair, une impression de malaise, de noirceur, l’art d’effleurer les faits sans totalement se les approprier. Du jeu, de la provocation. De l’admiration, de la peur. Du défi, du désespoir. De la pudeur, mais surtout de la prudence: le feu brûle et à trop s’en approcher, l’abîme de Rimbaud pourrait bien aussi nous aspirer. Un duel Homère/Aristote…de la quête, de l’humilité de l’Homme, de la raison, de la prudence.
« Il pleure dans mon coeur comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur qui pénètre mon coeur« .
Egrainant les étapes de l’existence de Rimbaud au rythme de ses épreuves et cheminements, Sylvain Tesson est tantôt cinglant, tantôt cynique, poète toujours, transposant le fait divers au miroir de notre société actuelle…une peinture sombre, réaliste peut-être, tourbillonnant inlassablement comme une valse infinie qui s’enivrerait au rythme d’un son de plus en plus wagnérien, dramatique. Il y a du Frankenstein, de la détresse, de la folie, des illuminations, du bateau ivre.
Sous le chapitre « bateau-mère« , il décrit ainsi le père, parti lorsque Rimbaud avait 4 ans: « dans la distribution rimbaldienne, le père, c’est l’absence, le départ, la dentelle, la guerre, le vide, un homme quoi, comme dirait notre époque« .
Tesson rend justice à Rimbaud et nous alerte sur le voyeurisme déroutant de nos sociétés actuelles ou de l’amour du fait divers. Avant tout, Rimbaud était géniale poésie, incompris, et pour autant, terriblement inscrit dans son temps… l’intemporalité : « Rimbaud c’est l’histoire d’une époque pas digne de son barde. Elle le découvre trop tard. L’enfant avait un tort: ne pas se conformer à son temps. Reste à lire les fleurs de sa saison plutôt qu’à nous exciter de ses embardées. Ou alors, imitons Patti Smith, aimons les deux versants de la montagne – l’ubac: Rimbaud noir des nuits d’alcool, et l’adret: Rimbaud blanc du verbe pur. Rimbaud est certes un bon candidat à la société du spectacle, mais il serait dommage de préférer ses frasques à ses fresques. »