Il est difficile d’imaginer un hasard de calendrier entre la sortie de « Mission divine », le dernier ouvrage de Stéphane DURAND-SOUFFLAND, et l’arrêt de la cour de cassation du 14 avril 2021 sur le meurtre de Sarah HAMILI.

Article 122-1 du code de procédure pénale:  » N‘est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

Difficile, à nouveau, de voir un simple hasard, dans la publication de cet ouvrage, quand l’on sait que Stéphane DURAND-SOUFFLAND est le co-auteur de l’ouvrage « la bête noire » avec Eric DUPONT-MORETTI, actuel Garde des Sceaux. Est-ce un message envoyé à son attention?

Possible.

A travers ce roman tiré d’un fait divers, construit comme un véritable polar que l’on ne peut lire que d’une traite, l’auteur raconte la vie de deux marginaux Sylvia « Sa Majesté » et Etienne son « Secrétaire ». Leur rencontre, leurs délires, leur monde parallèle, leur mission. 20 ans de vie vagabonde à travers la France à pratiquer des rituels, à inventer des concepts et parmi eux, celui du possible retour en arrière, comme une machine à remonter le temps, par le sacrifice humain. Sylvia délirait et manipulait, Etienne y croyait, c’était sa réalité. Ils sont restés lunaires, marginaux, inoffensifs, ou presque, pendant des années.

Et puis un jour, Sa Majesté ne supporte plus son disciple, Sylvia veut quitter Etienne, elle le rejette. Alors pour retourner en arrière, il déambule dans un village, obsédé par les démons qu’ils se sont créés, pétri de leur mission divine et, soudain, il sort de sa torpeur, comme un signe, au son du klaxon du vélo d’un enfant. Random match. Cette curieuse configuration astrale aboutissait au meurtre terrible d’Antonin, massacré de 40 coups de couteaux.

Le crime est haletant, la plume de l’auteur se faufile comme une tornade dans le mental de tous les intervenants, ce vent de folie les contaminant tous, du petit procureur au Garde des Sceaux, des flics aux juges, du peuple aux médias. Tout y est dépeint dans sa déraison, des auteurs à la vindicte populaire, sous le regard digne et meurtri de parents sidérés, dont l’horloge s’est brutalement arrêtée. Leur fils leur a été volé. Mais l’histoire de ce crime l’a été aussi.

Ce roman aurait pu être un récit classique de crime, comme aiment le transposer les chroniqueurs judiciaires, souvent excellemment comme c’est le cas pour « Mission divine ». Le fait divers fascine, davantage encore lorsque la victime est un enfant. Mais le message politique est clair et somme toute, assez salutaire: on ne peut pas juger les fous. Stéphane MOITOIRET, car c’est son vrai nom, le meurtrier, était schizophrène. Pourtant, contre toute évidence, il a été condamné à perpétuité en première instance, 30 ans en appel.

Il a été jugé et incarcéré. Sa place était à l’hôpital.

Au tout début du récit, l’auteur raconte l’emballement politique, la fièvre médiatique, la violence du peuple qui réclame vengeance et un procès: le juge d’instruction signant la mise en accusation est dépossédé. Il sait. Tout le monde sait que cet homme est fou. Et pourtant il sera jugé. Etienne reste absent, provoque la consternation mais pour des questions strictement politiques, des motifs minables et parfois si humains et si médiocres, il sera condamné.

L’auteur critique tout le système judiciaire, de façon assez juste et qui porte à sourire, quand on connaît le monde de l’intérieur.

 » Sur procès-verbal, tout le monde s’exprime de la même façon. Professeur ou illettré, citadin ou paysan, ouvrier ou comédien, chacun se voit prêter par l’enquêteur un parler standard qui, à la personnalité réelle du suspect, substitue un statut: celui de futur condamné. » (pp. 138-139)

« (Le Président de la Cour d’Assisesa compris que Me DAMIENS, malgré toute son expérience, ne maîtrise pas son client: il faudrait qu’Etienne délire pour que les jurés doutent. Or, il parle très peu. Ce mutisme fait bien l’affaire de Prosper LAPLANCHE. Il lui permet de surcroît de tenir un planning serré. Le président appartient à ce club de magistrats qui estiment que le personnage le plus encombrant du procès, c’est l’accusé. Moins il s’exprime, mieux on le juge. » (p. 210)

Sans dénigrer la vindicte populaire, la souffrance étant indicible, le crime odieux, Stéphane DURAND-SOUFFLAND condamne sans appel le populisme des pouvoirs politiques, ses réactions sans mesure ni distance, ceux par qui tout semble être arrivé, un désastre pénal, ceux qui avaient promis un procès aux parents.

Discutant avec sa greffière après l’interrogatoire d’Etienne, le juge d’instruction indiquait « Franchement Véronique, si ce gars-là simule la folie, il mérite un Oscar, vous ne pensez pas? »… »La fonctionnaire, qui a tapé le plus invraisemblable procès-verbal de sa carrière, opine, déboussolée. Le document a été signé par le mis en examen d’une écriture d’enfant. Il a oublié la dernière lettre de son prénom. » (page 150)

Etienne était totalement fou, c’était une évidence pour tous ceux qui l’avaient rencontré. Mais la pression hiérarchique est trop forte:  » Dans son cabinet, (le juge d’instruction) ressent l’impression pénible d’avoir été instrumentalisé. Au moment de signer l’ordonnance de mise en accusation d’Etienne et Sylvia, il a honte. » (page 170)

Les meurtres d’enfants emportent avec eux raison, procédure et justice…

Il est permis de sentir la colère et la honte de l’auteur qui a suivi le procès, témoin d’un système dévoyé et d’une accusation parfois aveugle et intéressée. Stéphane DURAND-SOUFFLAND dénonce l’ambition, la folie médiatique, l’irrationalité et les guerres d’experts ainsi que leur incompétence parfois, pourtant, trop reconnue.

A l’époque, le Pr OLIE, psychiatre saisi de ce dossier, indiquait dans la presse en 2013 à propos de l’incompétence de certains de ses confrères dans l’affaire MOITOIRET qu’il « signe la faillite de l’expertise psychiatrique» dans la mesure où elle est «incapable d’expliquer simplement à un jury d’assises que, même criminel, un malade mental grave doit être soigné». «En mettant Moitoiret en prison, la société conjure sa peur. La folie fait peur. Et l’adage ‘’demi fou, double peine », qu’on croyait obsolète, a repris du galon»,ajoute-t-il.

«Le cas Moitoiret entrera dans l’histoire des régressions dont témoigne notre société en crise. Une société aux prises avec de graves tensions économiques et sociales, plus encline à tomber dans la facilité de la vengeance qu’à reprendre à son compte les valeurs humanistes qui, dès le début du XIXème siècle, délivrèrent les aliénés de leurs chaînes. Même les Romains considéraient les fous comme déjà trop punis par les dieux pour encourir en plus la punition des hommes.» (« Affaire Moitoiret: des experts psychiatres au banc des accusés »)

L’auteur semble toujours traumatisé par le fantôme d’Etienne, par cette folie politique et judiciaire, par cette profonde atteinte à nos principes humanistes. L’on pourrait s’autoriser aussi à ne pas oublier la responsabilité des médias qui fabriquent parfois des criminels et en arrivent à confondre fiction et réalité, au point d’emporter toute une opinion publique pour désigner un coupable, avant même qu’il n’ait été jugé. Parfois contre toute vraisemblance et sans accès au dossier.

Dans l’enceinte de la Justice, pas de fiction ni de passion: du droit. Et de l’intime conviction.

Cet ouvrage sonne comme un testament, celui de notre responsabilité collective, et nous ramène à la question essentielle de l’indépendance de la Justice et de la dignité humaine. Superbe récit excellemment construit, une piqûre de rappel humaniste dont la société a actuellement profondément besoin.

Mais surtout, au-delà de l’engagement de l’auteur, « Mission divine » est un roman haletant qu’il est très, très difficile de refermer.

Dans l’affaire HALIMI, extrêmement médiatisée, la question qui était posée au juge était la suivante: peut-on estimer qu’une personne a son discernement aboli si elle a consommé de manière totalement libre et non contrainte des produits stupéfiants qui semblent être à l’origine des bouffées délirantes? Doit-on priver les victimes et la société d’un procès lorsque l’auteur est lui-même à l’origine de son trouble psychiatrique? C’est en tous cas en ces termes que s’est posée la question dans le débat public, malgré l’intervention, dans la presse, du collège de psychiatres qui a eu à examiner l’auteur des faits et concluait sans conteste à l’abolition de son discernement: « Souhaitons, quoi qu’il arrive, que la loi saura préserver ce qui, depuis le droit romain, fait que seul un homme disposant de son libre-arbitre puisse être jugé. » (Tribune Le Monde, 25 avril 2021)

Pour déterminer si l’auteur d’un crime est accessible à la peine, la loi distingue l’altération de l’abolition du discernement. En clair, il s’agit de s’interroger sur la conscience que l’auteur a de la commission de ses actes et de leur portée, au prisme de son état psychiatrique.

En droit, on ne condamne pas les fous. Leur prison mentale semble déjà suffisamment déshumanisante.

Néanmoins, cela ne signifie pas qu’ils vivront libres et sans chaînes s’ils ont commis un crime. A la place de la détention leur sont substituées des mesures d’hospitalisation d’office que la prison n’a rien à envier. Cette marque humaniste du législateur est aussi la juste compréhension, pour la société et les victimes, du crime dans son intention et sa commission.

Compte tenu de l’émoi soulevé par cette décision de justice, le Ministre de la Justice a annoncé une modification de la loi qui doit être débattue à la rentrée.

Affaire à suivre. Mais en attendant, la lecture de cet ouvrage permet de comprendre la dimension de la folie, à tous ceux qui n’ont jamais rencontré de personne atteinte de schizophrénie. La folie meurtrière n’est pas folie psychiatrique et c’est bien là toute la démonstration de ce roman.