Lire un roman graphique de Claire Le Men, c’est comme déguster un bonbon, puis tout le paquet, puis se retrouver à la fin avec la frustration de ne plus en avoir, froisser le papier d’emballage avec hystérie, mélancolie, puis attendre le prochain…sombrer dans l’addiction…
Nous avions eu la chance, dans ces colonnes, de découvrir Claire Le Men dans les interviews d’Armide: elle s’est prêtée à l’exercice avec toute la générosité qui la caractérise…
Alors évidemment, c’est avec une folle excitation, teintée de procrastination (pour éviter l’effet papier froissé frustré de la fin donc…), que nous avons découvert son nouveau roman graphique « Nouvelles du dernier étage ».
Au top! Et c’est de circonstance.
C’est un petit recueil de nouvelles, ou plutôt de personnages, dessinés et contés à travers leurs pathologies… (toute ressemblance avec un être réel…) Outre la finesse, la pudeur et la drôlerie de leur description, on y trouve tout ce que la psychiatrie, mais bien au-delà, notre regard sur la santé mentale, devrait avoir de plus humain.
La préface by Claire elle-même, prend tout son sens une fois que l’on a refermé ce petit trésor. Elle ne fait pas que dessiner avec une imagination débordante, elle construit ses récits et ses personnages de manière particulièrement tendre et sincère.
Et puis la fin.
Le dernier personnage….
Quelle claque!
Après une description que l’on croirait naïve des désordres mentaux, où l’on découvre, entre les lignes, une critique fine et acerbe de la psychiatrie hospitalière, on plonge soudainement dans une odyssée capitaliste sans retour à Ithaque…du danger du chant des sirènes et du sablier qui lentement s’écoule….le gouffre atomique de nos sociétés modernes, à la recherche du temps perdu. Mais quelle histoire incroyable! Je n’en dirai pas plus, c’est la vraie surprise de ce roman.
Ce qui est certainement le plus fascinant, c’est cette façon incroyable de plonger dans un univers totalement imaginaire et de transposer en poésie, le sujet visé, qui n’a dans le fond plus rien de poétique…une façon de dire les choses avec humanité, le tout enrobé dans un esprit brillant.
Un bonbon, nous l’avions dit…
D’où l’on passe de Saint Exupéry à Camus…un texte engagé, un regard d’une finesse éblouissante sur nos sociétés modernes, un pied de nez à ceux qui jugeraient qu’être médecin c’était peut-être mieux que saltimbanque…un mélange de stoïcisme et d’épicurisme, bref un message qui fait réfléchir, qui interroge et que l’on ne peut que distiller abondamment dans tous les derniers étages, et en premier lieu sur toutes les tables de chevet. Celles que l’on devrait ne jamais délaisser pour les écrans, avant de s’endormir…sans craindre l’insomnie (d’où l’on ne peut comprendre cette phrase qu’après avoir lu ce livre!)
« Nouvelles du dernier étage », c’est l’imaginaire sans limites d’un enfant dans l’esprit critique d’un adulte qui fut un temps psychiatre. C’est Mary Poppins qui nous transporte dans un monde où les fous sont des êtres touchants et un peu nos meilleurs amis.
Epoustouflant, c’est tout simplement brillant.