Après avoir expérimenté l’administration centrale d’Athos et l‘hôpital public de Wanda, nous publions ce jour une nouvelle recrue La Culture du Droit qui nous raconte les violences morales au sein du Ministère de l’Intérieur et plus particulièrement de la Police nationale.
Eh oui cher contribuable, certains fonctionnaires de police, y compris (et surtout) les plus gradés, réservent leurs agissements pour leurs collègues ou subalternes, dans une omerta absolue. On préfère laisser croire que les débordements ne sont réservés qu’aux usagers et bien non, la police aussi est en souffrance et en son sein comme ailleurs, on subit du harcèlement moral et de la souffrance au travail. Et comme ailleurs, on assiste impuissant à une tolérance absolue des débordements hiérarchiques.
Pourquoi c’est plus grave qu’ailleurs? Parce que pour beaucoup, être policier et défendre les valeurs républicaines, poursuivre la délinquance et faire respecter l’ordre public, c’est une vocation. Quand on assiste à la violation de ces principes par ceux-là mêmes qui sont censés les défendre, l’agression éthique devient insoutenable. Un peu comme les politiques qui détournent les pouvoirs issus du peuple à des fins privées….
Dans le langage managérial de la fonction publique, on appelle cela l’exercice anormal de l’autorité hiérarchique. C’est l’euphémisme. En réalité, c’est « au mieux » de la souffrance au travail, au pire du harcèlement moral.
Et c’est extrêmement destructeur.
Si nous choisissons de publier ce témoignage aujourd’hui, c’est parce qu’il n’est pas isolé. Il décrit avec souffrance des méthodes managériales édifiantes, le sort réservé aux lanceurs d’alerte dans un des secteurs phares de l’exercice des prérogatives de puissance publique, celui qui touche le plus au respect des libertés publiques et de la dignité humaine.
Se pose ainsi l’irrésistible question pour tout agent de police maltraité: faut-il se soumettre pour continuer d’exister ou faut-il dénoncer les agissements illégaux au préjudice de sa carrière ? La réponse est dans la question…Autant dire que les carottes sont cuites….
Une des spécificités de la Police nationale, lorsque des débordements managériaux sont constatés, est d’accorder au devoir d’obéissance une véritable obligation de soumission. Ainsi, quand certains s’insurgent contre l’exercice abusif de cette autorité hiérarchique, les agissements s’abattent comme autant de violences morales dégradantes qui rappellent que dans cette maison, quoi qu’il advienne, on ne conteste pas l’autorité, quelle qu’elle soit.
Le récit de cet anonyme correspond en tous points à celui de nombreux policiers victimes de maltraitance hiérarchique : les méthodes managériales qui se sont développées comme autant d’usages pour les faire taire sont malheureusement légion…Nous avons décidé, fruit de notre travail d’observation clinique des victimes de ces abus, d’en dresser une petite liste non exhaustive, l’imagination managériale en ce domaine étant assez illimitée…
Ainsi, un policier en arrêt maladie pour syndrome dépressif réactionnel à ses conditions de travail sera présumé en arrêt de complaisance et subira régulièrement la visite à domicile de sa hiérarchie « juste pour vérifier » ou des visites de contrôle intempestives et répétées « juste pour être sûr ». Il ne faudrait pas préjudicier le système de santé ou gâcher l’argent du contribuable, quand on est policier on doit assumer son service, même sous les hurlements de son chef ou lorsque les moyens de travailler dignement font défaut. Non seulement on n’a pas le droit de craquer mais on vous culpabilise à l’extrême de le faire. On n’aime pas les gens qui craquent, dans la police. On aime bien tester leurs limites.
La dénonciation du comportement d’un supérieur hiérarchique entraînera une plainte en dénonciation calomnieuse auprès du Procureur qui n’est autre que le chef de la Police, hiérarchie suprême, celui qui décide de poursuivre ou non en présence d’une infraction; Il délèguera l’enquête à l’IGPN, police des polices (les « boeufs-carottes »), dont la double fonction, judiciaire et administrative (comprendre pénale et disciplinaire) enquêtera souvent à charge, sur instruction de cette même hiérarchie, afin de constituer un dossier contre l’agent maudit à qui soudain tous les maux sont reprochés. De victime l’agent devient bourreau et se découvre un passé édifiant monté de toutes pièces. Le moindre éternuement devient une faute présumée, une violation de la déontologie. Ainsi, à compter de son signalement, l’agent sera souvent poursuivi à la fois sur le plan pénal et disciplinaire. Et sa plainte? Pas le temps de l’instruire, oubliée, dans un tiroir… en même temps, il a mérité ce qui lui arrive, pourquoi avoir dénoncé son supérieur hiérarchique? Quelle idée…
Sans compter la violation des règles de procédure et l’usage abusif de pouvoirs d’enquête exorbitants. Non cher contribuable, le policier victime de harcèlement moral qui a osé dénoncer le comportement hiérarchique n’est pas un citoyen comme les autres, c’est un vrai privilégié. Il a droit à tous les services cumulés tirés des lois statutaires et du code de procédure pénale. La police des polices dispose d’une prérogative unique, pour les fonctionnaires de police, c’est-à-dire qu’elle peut enquêter à la fois sur toutes les infractions commises par les officiers de police (pénal) et sur leurs fautes en qualité d’agents publics (disciplinaire). Et c’est ainsi que l’on découvre que l’IGPN se sert de ses prérogatives pénales pour enquêter sur le plan disciplinaire, or les pouvoirs d’enquête ne sont pas les mêmes, ni les droits de la défense.
Tiens par exemple, dans une enquête administrative, on n’a pas le droit de mettre sur écoute, de procéder à des filatures, d’enquêter sur le passé personnel de l’agent…et puis dans l’enquête administrative c’est à peine si on autorise la présence de l’avocat durant les auditions, le contradictoire…parce qu’on n’aime pas trop que les affaires internes soient exposées à l’extérieur, on aime bien laver son linge sale en famille. Lu dans une procédure: « nous recommandons le frein à l’avancement de cet agent qui a pris un avocat pour assurer sa défense« . Intéressant…
L’IGPN, quand il enquête à charge contre la victime dénonçant sa hiérarchie, a le droit d’avoir le rapport du procureur et le contenu de l’enquête préliminaire mais il ne le communique pas à l’agent. Pas de…quoi? contradictoire?…
D’ailleurs le guide de l’enquête pré-disciplinaire de l’IGPN le précise bien, qu’il ne faut pas mélanger les genres et bien distinguer les prérogatives pénale et administrative…mais comme dirait l’un de mes clients….ils boivent tous à la même machine à café, c’est le même service, le même bâtiment, parfois le même étage…
Vous menacez un commissaire de dénoncer le harcèlement sexuel ou moral, voire les deux, qu’il vous fait subir? Il va détruire votre dossier où que vous alliez car on ne conteste pas l’autorité. Et se crée alors un dossier parallèle à votre dossier officiel, vous êtes black-listé. Un jour l’agent décide de le consulter ce dossier officiel et il y découvre des rapports à charge dont il n’avait jamais été informé, ou des modifications d’évaluation, comme ça, sans prévenir….
Vous osez court-circuiter votre supérieur hiérarchique, qui vous harcèle, pour le dénoncer à la hiérarchie supérieure? On vous condamne pour manquement à l’obligation de loyauté et de respect de la chaîne hiérarchique, vous obligeant à des réunions à huis-clos avec celui-là même qui vous harcèle. Parce qu’on doit respecter la chaîne hiérarchique. Très important la chaîne…celle qui vous enferre dans un silence terrorisant.
Alors bien sûr, la police des polices agit sur instruction. Quand un policier commet une infraction grave, il doit être puni, comme tout délinquant. Et la double casquette pénal/administratif peut se comprendre, lorsque les missions relèvent d’une prérogative de puissance publique. Mais lorsque la hiérarchie est mise en cause pour des défaillances managériales graves, est-on encore dans des prérogatives exorbitantes? Pourquoi ne punit-on pas l’exercice anormal de l’autorité hiérarchique et pourquoi, au contraire, s’acharne-t-on sur le malheureux qui l’aura dénoncé?
Il est des usages d’un autre temps qu’il convient de dénoncer et vite. Avant que ce témoignage ci-dessous livré, malheureusement récurrent, ne vienne désabuser les vocations et tous ceux qui font la fierté de la Police nationale. Avant plus grave, que certains, écœurés, ne retournent leur arme contre eux-mêmes.
DEBA R RAS(S)E…. d’un petit flic.
– « Pour quelles raisons étiez vous mal rasé le 01/10/2015 ? »
Cette ultime question résume à elle seule l’acharnement de ma hiérarchie. En effet, elle s’entête depuis de longs mois à faire de moi le dangereux policier, le fonctionnaire négligent, l’élément contestataire, le voyou, le délinquant.
Le 09/10/2015, mon chef de service m’a demandé de rendre mon arme et m’a interdit l’accès aux ordinateurs du service devant mes collègues. Je suis gardien de la Paix depuis 25 ans, j’ai parcouru de nombreux services et comme toujours j’ai toujours exécuté les ordres.
Chacun pensera aussitôt : il est dangereux ce Lucky Luke du commissariat, il a fait une connerie avec son arme, il a menacé quelqu’un, il est malade, fragile, il déprime, son environnement familial est fragilisé, etc .…
Ce 09/10/2015, j’ai commis un « crime » de lèse majesté : j’ai demandé à entrer avec mon supérieur hiérarchique direct dans un bureau pour une soudaine « réunion » orchestrée par mon Chef de service, afin qu’il soit témoin des propos tenus à mon encontre. Mon Chef de service exigeait que je sois seul avec sa garde rapprochée présente pour cette « réunion ».
Pourquoi MOI ?
Gardien de la Paix, sans aucune décision à prendre, personne à diriger, comme mission ordinaire : écouter, obéir et se taire.
J’imagine que cette « réunion » s’inscrivait encore une fois, dans cette volonté délibérée depuis plusieurs mois de tenter par tous les moyens de me sanctionner pour enfin me discréditer et mieux m’humilier.
Pourquoi refuser la présence d’un témoin ?
Voici en quelques mois, succinctement, les mesures prises par ma hiérarchie à mon encontre.
Ma demande d’aménagement du temps de travail après la naissance de mon fils m’a été refusée, sans motif.
Je suis convoqué et humilié verbalement par mon Commandant car j’ai simplement demandé une attestation indiquant que je ne touchais pas de supplément familial.
Blessé en service, je suis contrôlé à domicile par le Commissaire en personne accompagné de la Capitaine du service en tenue. Hors département, hors circonscription.
A la demande de ma hiérarchie, j’ai assuré la fonction de Chef de Poste sans arme durant plusieurs semaines en période estivale et en plan vigipirate Alerte Attentat.
Quand monsieur le Commissaire n’a pas reçu son quotidien « Sud-Ouest », j’ai du m’expliquer par écrit.
J’ai été muté, changé de brigade sans motif, sans en avoir émis le vœu.
Ma hiérarchie a échafaudé une procédure d’absence illégale pour tenter de me sanctionner.
Quelques jours plus tard, j’ai signé ma notation administrative et une appréciation désastreuse qui comportait de nombreuses incohérences.
M. le Commissaire a décidé et m’a informé par téléphone de l’annulation de mon rendez vous pris avec la psychologue administrative. Lors de l’audition administrative, il n’a pas daigné saluer mon conseil, ni moi-même.
Une audition de trois heures pour soi disant 24 heures d’absence irrégulière s’est déroulée dans un climat malsain qui a choqué mon conseil.
Ce 09 octobre 2015 fut mon dernier jour en tant que policier.
Cet acharnement et cette dernière décision me privent de toute possibilité d’accomplir mes missions. Privé d’arme, privé d’ordinateur, sans outil de travail, humilié devant mes collègues, je ne suis plus rien professionnellement.
Après 25 ans de bons et loyaux services, mes sacrifices personnels, familiaux pour servir cette grande institution, je suis affligé par cette stratégie qui consiste à trouver le moindre petit élément pour me sanctionner enfin.
Voilà, 15 mois que je suis en arrêt de travail, j’ai alerté tous les acteurs de mon administration concernant les mesures dont j’étais l’objet: l’IGPN, le médiateur de la Police Nationale, le Député de ma circonscription, la DDSP, l’assistante sociale, la psychologue, le SGAMI et ses autorités, le médecin Inspecteur Régional, le Syndicat et toujours rien ….
De son côté, totalement libre de ses actions, mon Chef de service a tenté par tous les moyens dont il dispose, grâce aux prérogatives qu’il s’attribue parfois, de justifier SES décisions. Même malade à la maison, le Chef de service continue de tout écraser sur son passage.
Je suis contrôlé systématiquement lors de chaque prolongation d’arrêt de travail, toujours chez le médecin conventionné le plus éloigné de mon domicile. Monsieur le Commissaire a déposé plainte contre moi, auprès de Monsieur le Procureur de la République pour propos mensongers et calomnieux sur sa personne. Il a écrit en tant que Chef de Service sans couvert hiérarchique.
Convoqué, j’ai justifié chacun de mes propos durant six heures d’audition à la Gendarmerie de mon domicile.
Encore une fois convoqué malgré mon arrêt maladie, une nouvelle enquête administrative interne a été mise en œuvre, six jours avant Noël 2016. Pour montrer ma bonne volonté et ma bonne foi, j’ai répondu durant 02h30. J’ai découvert qu’il sollicitait directement le médecin pour me contraindre à une audition administrative.
M. le Commissaire s’est servi d’un courrier administratif d’un collègue dénonçant une attitude de ma part qui dénigrerait l’institution envers les usagers du service public. Ce courrier ne précisait ni date des faits, ni le nom d’un plaignant éventuel, ni même le nom d’un usager pour des faits remontant 10 mois en arrière….
Même cette technique qui consiste à opposer les personnels entre eux est fréquemment utilisée. Tout est réalisé pour m’éloigner un peu plus de mon lieu de travail et me faire perdre confiance en mes collègues.
Cette question résonne encore en moi, après deux heures trente d’interrogatoire :
-« Pourquoi étiez-vous mal rasé le 01/10/2015 ? »
Réponse urgente à ces enquêteurs à la poursuite d’un criminel :
-« Je ne comprends pas le fondement de cette question, le 01/10/2015 je me trouvais en repos. »
J’oublie juste un petit détail, cette année 2015 fut celle de ma première prime au mérite. … !!!
L’objectif est atteint : détruire un homme qui tente de rester digne.
Heureusement, il me reste le soutien de mes proches et de mes amis.
On finit toujours par les interrogations. Des questions sans réponse reviennent tous les jours, toutes les nuits lorsque vous regardez en arrière.
Comment peut-on en arriver là ? Suis-je responsable ?
Comment puis-je attirer une telle haine de ma hiérarchie en quelques semaines ?
– faire un exemple pour neutraliser toute velléité du groupe de remettre en cause l’autorité hiérarchique.
– réaliser une procédure disciplinaire qui manque peut-être dans les statistiques d’un Chef de service,
– Puis-je avoir encore confiance en mes collègues ?
– Comment un minuscule gardien de la Paix peut-il faire de l’ombre à un petit commissaire, pour justifier un dépôt de plainte ?
– Suis-je tout simplement victime d’un jeune supérieur, avide de promotion, pressé de tout écraser ?
– A-t-il un égo surdimensionné, un vide personnel et familial qui modifie le comportement et encourage l’impulsivité, l’absence de discernement et la perte de sang froid qui conduisent à cette fuite en avant pour tenter de justifier des décisions incohérentes et graves…
– Peut-être suis-je victime d’un manipulateur heureux de détruire la dignité d’un anonyme.
-Ai-je eu raison de dénoncer ces méthodes managériales?
Aussitôt, les réponses les plus lâches fusent dans mon esprit.
Je dois regarder la réalité en face :
-« Je suis bien fragile tout seul, l’Administration me brisera. »
J’aurais peut être du faire le dos rond et accepter ces brimades, cet acharnement, ces humiliations pour protéger ma famille et continuer à la nourrir.
J’aurais du attendre que la tempête passe.
Ce Chef aurait finalement trouvé une autre victime que j’aurais regardé sombrer, comme les autres sans rien dire…. J’aurais été DEBARRASSE….
La Psychologue administrative et le médecin conventionné m’ont clairement conseillé de démissionner pour stopper ma souffrance… quelle honte !!!!
Les questionnements conduisent à la paranoïa.
Quel nouvel élément sera trouvé pour me mettre en défaut ?
La justice doit passer et m’aider à me reconstruire. L’Administration ne doit pas laisser le comportement dangereux de certains anéantir les petits et faire des dégâts irréparables dans une société fragilisée où les plus faibles sont de plus en plus démunis.
Le courage, c’est de s’accrocher à ses valeurs et de défendre ses convictions. Chacun doit se protéger moralement de cette violence que le monde du travail cautionne souvent au nom de la performance et de la productivité. Dans l’Institution Police ces objectifs sont dangereux, car certains seront tentés de créer des délits et imaginer des infractions. Toutes les dérives sont possibles…pour la prime ou la promotion. J’ai honte que la Police manifeste à visage couvert non pas pour se protéger des voyous mais bien des représailles de la hiérarchie. Ce simple fait traduit une situation interne glauque.
Je crois que je ne suis pas seul…..