Aujourd’hui, c’est  l’investiture de Donald Trump. Gageons que quelques journalistes nous feront le commentaire de la couleur de sa cravate... mais comment va-t-il s’habiller pour le grand jour de son histoire? (Pas forcément celle que le monde a envie de retenir… malheureusement, cela va bien au-delà de sa seule histoire, Donald Trump est devenu l’Histoire…)

Quels sont les mots clefs de son futur discours? La couleur de la pochette qui le contient? La marque de son stylo? De ses chaussures?

Eh oui, contribuable, tu as le droit de savoir ce que ton argent finance car tu ne t’imagines pas à quel point la forme prévaut en ce bas monde. Regarde l’interne qui a voulu dénoncer avec humour des conditions de travail déplorables à l’hôpital, ce que nous savons tous! Et bien la planète médiatique s’occupe de savoir si elle travaillait réellement à l’AP-HP. En gros, quelle pourrait être sa légitimité à parler d’un sujet ou plutôt d’un hôpital qu’elle ne connaîtrait pas? C’est drôle pourtant, tant de gens se sont tellement reconnus dans son discours….Et pourquoi une telle médiatisation alors qu’il y a quelques mois, Caroline, une infirmière, faisait le même constat, bénéficiait de la même viralité…mais elle en revanche, n’a pas fait le tour des plateaux de télévision ou de radio. Que cherche-t-on? Des icônes? Des martyres? Des « héros » de réalité, un réalisme sans filtre, sans analyse, dans une société de l’immédiateté?

Mais quel est le problème en fait?

Pas de savoir qui paie cette interne ou ce que porte Donald! Ce qui compte c’est le message que ces gens véhiculent..et ces messages, quels qu’ils soient, font tellement peur qu’il peut devenir facile, il est vrai, de voiler une réalité sous des débats inutiles, pour oublier la dureté, la laideur, la violence du débat de fond.

Hier soir dans la Grande librairie, nous entendions Michel Onfray sur son ouvrage « la Décadence », un titre qui en dit long…Comment réenchanter le monde? En redonnant le goût de vivre et de travailler aux agents publics peut-être, pour qu’ils soient fiers de continuer de porter les valeurs républicaines? Jean d’Ormesson déclamait il y a quelques jours sur une grande chaîne que la vie est une vallée de larmes mais elle aussi une vallée de roses…fuir le catastrophisme sous les débats agressifs, stériles, est-ce vraiment une façon de réenchanter le monde?

Un simple balayage des grands titres sur les derniers jours nous glace d’effroi, et encore, ce n’est qu’un seul organe de presse…Ainsi Le Monde dans son édition du 20 janvier 2017 publie un article fort « Défendons nos valeurs » dont l’excipit frappe et interpelle  » les démocraties peuvent mourir, elles aussi« . Questionnons nos certitudes…

Puis dans son supplément science et médecine, dont la une interpelle, encore « demain, des soignants heureux » – disons que pour une fois, le message se veut encourageant – le journaliste Pierre BARTHÉLÉMY cite Oscar Wilde dans son article  « vie et mort des bonnes résolutions du jour de l’an » dans le portrait de Dorian Gray « leur origine est de pure vanité et leur résultat est nul« , ce qu’il appelle le « principe de réalité. » Encourageant.

Enfin la grande page débat de l’édition du 18 janvier 2017 « La gauche a-t-elle renoncé à l’intelligence », mettant en lumière le « vide de la pensée de la gauche » où le discours politique ne serait devenu qu’un exercice de communication. Il n’y a pas que la gauche, malheureusement les récentes élections ordinales au Barreau de Paris nous en donnent déjà un bel aperçu.

La forme qui prévaut sur le fond…tout le monde est touché, alors quand va-t-on s’indigner?

Au milieu de toute cette revue de presse sommaire, un article qui passe  inaperçu mais qui glace le sang…l’un des bastions de la démocratie, l’indépendance des juges, semble encore menacé. « Les juges secoués par l’arrivée des algorithmes » ou comment produire des statistiques sur les chances de succès d’une affaire en fonction de la majorité pensante, de tel ou tel juge (comprendre sa personnalité ou son réseau)…en bref, comme pour les sites de rencontre, l’orientation à venir des choix de vérité où la face du monde semble à portée de clic…un peu comme si les algorithmes gouvernaient le monde…un peu comme si Donald Trump était devenu président des Etats-Unis…ah mince…mais ça c’est une vraie réalité immédiate…la leçon est un peu chère payée.

C’est ce que nous explique Athos aujourd’hui, dans une chronique délicieuse sur fond d’amertume…et si nous pouvions sauver l’utile et l’essence de nos relations, au lieu de nous perdre en diatribes inutiles? Cela commence aussi au travail, tout simplement, sur le choix de la couleur des pochettes. Après tout, plutôt qu’un nez, Cléopâtre était une grande femme d’Etat.

Revenons vite aux valeurs essentielles, allez, ce n’est pas si difficile…Pitié…ayons un sursaut d’humanité, de générosité, de dignité et stoppons le criminopopulisme qu’est devenue la communication institutionnelle…

Le nez de Cléopâtre…

– « Et tu te sens utile dans ton job ? »

J’ai observé mon charmant rendez-vous la main au-dessus de mon verre de vin et je me suis dit que ce soir la réponse allait être compliquée à formuler.

Pourquoi ce soir ? Après tout, tous les jours, j’arrive à trouver des mots pour saluer l’œuvre du fonctionnaire qui travaille pour l’intérêt de tous, qui défend le service public à la française, et ne ménage pas sa peine pour le bon fonctionnement du système. Mais aujourd’hui, je sèche : j’ai sombré dans la question existentielle de la réunion du jour et je peine à transcrire un enthousiasme débordant.

Pascal aurait dit « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. » (C’est en tout cas ce qu’il y avait écrit en introduction d’une des meilleures copies du concours de l’ENA… c’est dire si pour rentrer chez nous, il faut s’y connaitre en contingences). Mais Pascal n’est pas allé au bout du raisonnement. Il semblerait qu’au-delà d’un nez (et quel nez !), une simple couleur puisse tout modifier.

Pour ceux qui ont eu la chance, le bonheur, le privilège de visiter des locaux administratifs, vous avez pourtant noté cette ambiance « 50 Shades of Grey » (la version non-sexy) qui imprègne le moindre mètre carré: gris des murs, gris des moquettes, grises mines et costumes gris. Tout semble uni, terne. Service public, morne plaine ?

Et bien non ! Passé cette première confrontation, j’ai découvert que l’administration raffole des couleurs. « Bleu budgétaire », « petit livre blanc », « plan vert » et les autres : les couleurs sont là. Qui les a choisis ? Pourquoi ? Décision ou pur hasard ? On s’en moque et quoiqu’il en soit, à chaque arrivée dans un nouveau service, mon nouveau bureau m’attribuait un kit complet de pochettes multicolores et m’attendait avec des questions fondamentales : tu veux un stabilo de quelle couleur ? Et pour les post-it ?

On sait que les bases de l’éducation se jouent dès le plus jeune âge : ABC, lecture, écriture mais pas que… : gommettes, coloriages, titres en rouge, sous-titres en vert… Et hop, on peut se lancer dans le monde (à 2 ou 3 détails près…). Alors certes, un code couleur c’est bien pratique : vert – on passe, rouge – on s’arrête. Mais le diable se cache dans les détails, et chez nous, il s’est planqué dans les pochettes !

Dans mon service, on mise tout sur la couleur attribuée aux dossiers. Et c’est un vrai sujet ! Et oui Contribuable, sache qu’aujourd’hui, nous avons passé une heure de réunion à déterminer si la pochette de transmission devait être bleue ou rouge. Et vouloir écourter ce type de discussion, ce serait insulter tout un système même s’il est déjà 18h30, que l’on a soit un rencard soit un enfant et son doudou qui pleure depuis une heure chez la nounou ou que son frigo est anorexique depuis 2 jours et réclame des courses en urgence.

Choisir une couleur de pochette, c’est :
– savoir déjouer la théorie des genres (bleu pour un « sujet masculin » ?) ;
– désamorcer les enjeux politiques (« rouge, ce n’est pas un peu connoté ? »)
– ne pas tomber dans les poncifs (vert pour l’environnement) ;
– éviter de se la jouer trop lèche-botte (le chef préfère le jaune) ;
– avoir un peu d’originalité (au secours une pochette grise !)…. ;
– …. mais pas trop (et si on mettait des smileys ?)

Alors, si en plus après il faut déterminer si on met le titre en gras ou si on le souligne, ou les deux, et quelle police de caractère on utilise, et la dimension des marges, … on a une chance de sombrer et de rester sans réponse face à la question de son utilité au sein du système. Désolée donc, cher rendez-vous du soir, j’ai largement botté en touche à ta question mais je ne me voyais pas te dire qu’aujourd’hui j’avais lutté pour du Calibri 11 plutôt que du Times New Roman 12.

Désormais, en regardant le « vrai monde » avec le prisme de ma réalité administrative, j’en viens à me demander de quelle couleur était la pochette de l’opération Overlord ? Et de quelle couleur étaient les chaussettes de De Gaulle pour ce référendum de 1969 ? (Si vous avez une piste ou d’autres codes couleurs ou stylistique à me communiquer, n’hésitez pas à m’en informer, je reste preneuse de toute indice).

Après tout, « il n’est pas impossible que le monde soit absurde ». Jean D’Ormesson – Guide des égarés.