L’homo fonctionarius est un spécimen du monde du travail assez mal aimé (pour tous les privilèges qu’on lui prête, pour sa lenteur légendaire et pour sa propension à aimer faire grève), dont la vocation est de servir l’intérêt général (continuité du service), en échange de quoi lui est offerte la carrière de toute une vie, une réglementation protectrice, bref, un jardin extraordinaire où il pourra s’épanouir de la titularisation à la retraite.
Ça, c’est la théorie.
La fonction publique véhicule des valeurs républicaines notamment d’équité, d’accès égal à l’emploi, de non discrimination, de probité, de dignité, de laïcité….principes inscrits désormais dans la loi statutaire depuis la dernière réforme du 20 avril 2016.
Il en va ainsi, en théorie toujours, pour le recrutement et la mobilité. Le principe est simple: pour chaque emploi à pourvoir, l’administration doit publier une vacance de poste avec un certain nombre de critères à remplir. Sur la base de ces critères, tout le monde peut participer. Pour tout emploi permanent, les titulaires sont prioritaires. Les contractuels (autre espèce qui n’a pas passé de concours) ne peuvent être embauchés que sur certaines emplois ou alors pour leur technicité introuvable dans le vivier des titulaires.
Ca, c’est toujours la théorie.
En pratique, ce système qui se veut équitable et égalitaire relève d’une véritable chaise musicale. Rappelons les règles de ce jeu d’enfant: dans le jardin extraordinaire, il y a autant de chaises que de participants. Une petite musique joue et lorsqu’elle s’arrête, chacun doit aller s’asseoir. Rapidement. C’est alors que l’on s’aperçoit qu’il manque une chaise. A chaque tour, un petit enfant se retrouve sans chaise et est éliminé. Petit à petit, l’équipe se réduit comme peau de chagrin jusqu’au vainqueur: à la fin, il n’en restera qu’un. Qualités requises pour le jeu (sans tricher), la malice, la rapidité et surtout, pas de pitié.
On devrait bien retenir ce jeu, enfant, car dans la vraie vie, c’est une pratique assez utile. Le fonctionnaire en herbe lui, aura tendance à laisser sa chaise à l’autre, sur le principe de l’intérêt général. En fait il ne sait pas que pour sa propre survie, il aurait dû se la garder.
Et oui, cher contribuable, l’homo fonctionarius, lui, n’est pas habitué à ce jeu car la théorie lui a expliqué qu’il aurait toujours un poste conforme à son grade, en contrepartie d’un asservissement total à son employeur. Il ne comprend pas bien cette idée de devoir éliminer l’autre, alors que c’est l’équipe qui fait la force. Quel est donc le but de cette sélection drastique, quand on a été à l’école de la République?
On retrouve finalement le même système que dans le privé. L’administration recrute qui elle veut et comme elle veut, sur le principe du pas vu, pas pris. Quitte à repérer un candidat et lui créer un poste, entendre plusieurs candidats pour respecter les procédures (ça fonctionne un peu de la même manière pour les marchés publics, pour ceux qui connaissent bien) et ne retenir que le candidat repéré. Pourquoi perdre autant de temps? Encore la faute de la théorie mais bon, elle est incontournable. C’est ce que l’on appelle l’Etat de droit mais il est parfois extrêmement contraignant.
Bon, ça pourrait être de bonne guerre. Après tout, la théorie ne permet pas toujours de s’adapter à un besoin urgent qui doit être comblé rapidement. Mais c’est là qu’une question demeure assez complexe, la grande question philosophique du statut de l‘homo fonctionarius : pourquoi instaurer un système égalitaire que l’on se plait à contourner? Mais quel est donc le but recherché?
Et puis comme le recrutement ne se fait pas forcément à la méritocratie, on peine à comprendre le profil réellement recherché. Oui parce que la mobilité sert aussi, parfois, à se débarrasser d’un individu dont on ne sait que faire ou dont on ne veut plus (d’où l’intérêt de lui dresser une évaluation annuelle dithyrambique pour ne pas bloquer son départ et éveiller les soupçons de la future administration d’accueil…quitte à entrer en pleine contradiction si, à force de ne pas avoir réussi à le caser ailleurs, on veut s’attaquer à sa manière de servir qui….ah tiens étrange, pourtant ne ressort d’absolument aucune de ses évaluations).
Bref on l’aura compris, l’exode de l‘homo fonctionarius est un pan de l’histoire assez complexe, illustration ultime du paradoxe absolu de la République, qui nous rappelle un ouvrage célèbre…les homos fonctionarius sont tous égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres…
Voici la nouvelle aventure d’Athos qui cherche désespérément à trouver son profil…
« SOS écrit avec de l’air … »
Cher lecteur, cette chronique est un appel : as-tu une idée de reconversion pour moi ?
Les mois passent et les semaines se succèdent dans mon service sans âge à la moquette grise. Highlander a fini par rejoindre une autre direction. Un immense calme s’est abattu sur nous tandis que nous entamions un discret « recyclage des Cab » ou plus prosaïquement le sauvetage des déchus de cabinets ministériels.
Si les ex-conseillers réussissent certainement à mieux se placer, nous avons de notre côté hérité d’un obscur porte-café qui a un jour dégainé une carte de visite floquée « cabinet du Ministre ».
Chargé de mission, positionné en adjoint du futur chef qui n’est toujours pas désigné, Damien est ainsi venu renforcer les strates administratives de notre armée mexicaine. Il nous est arrivé un jour de pluie avec des bottes en caoutchouc, une veste à coudières et s’est intronisé chef par intérim.
La spécificité de notre spécimen est qu’il n’est pas fonctionnaire, mais contractuel.
Officiellement, la hiérarchie nous a indiqué qu’il a été recruté pour sa « technicité », ses « compétences particulières » que nous n’aurions pas pu trouver parmi le vivier de fonctionnaires en France. Comptabilisant quelques millions de fonctionnaires dans le pays, on s’est vite interrogé sur la pépite que l’on nous attribuait.
On imaginait le jeune loup trentenaire issu du privé, on a eu Damien et ses bottes de pêche aux moules. Et rien ne s’est vraiment passé. L’été a été d’un calme absolu. Tellement calme que rien n’est parti. Parfois je me dis que les gens doivent imaginer que si l’on met autant de temps à leur répondre c’est que l’on dore les réponses à l’or fin, qu’on les enlumine, voire qu’on les grave dans le marbre,… Alors que non. C’est juste que leur dossier est certainement sous une coudière de Damien qui depuis son arrivée « prend la température » : expression consacrée pour dire qu’il patauge et attend l’inspiration divine.
C’est pourtant auprès de lui que j’ai dû me tourner pour candidater au poste de Dracula qui a trouvé une veine administrative plus lucrative. L’adjoint de Bob laissant la place libre, et après 10 ans d’administration et des évaluations qui m’encouragent à progresser dans la hiérarchie, je me suis lancée.
L’entretien avec Damien fut au croisement du surréalisme et du postmoderne. J’y ai découvert que je n’avais pas le profil qu’il imaginait pour être adjoint de son adjoint, que je n’avais pas le profil pour être dans « son service », et d’ailleurs encore moins le profil d’un fonctionnaire. Au-delà du message – pas si subliminal que ça – me disant « va voir ailleurs », je me suis interrogée sur le profil du fonctionnaire…. Qui es-tu toi qui travaille pour l’Etat ?
J’ai eu beau répertorier les différents profils croisés dans la fonction publique, je n’ai pas réussi à tracer un profil « normal » commun à tous les fonctionnaires. Certes, nous partageons la réussite à un concours, l’abandon d’une quelconque idée de faire fortune par notre métier, et des traits communs qui reviennent avec le formatage des écoles et des années mais sommes-nous réellement une espèce à part ? Existe-t-il un homo-fonctionarius ?
Ayant une tendance à vouloir voir le verre à moitié plein, et aussi parce que je refuse de me dire que je ressemble à Jocelyne et ses mocassins à glands, je préfère voir la diversité des profils et la richesse que ça implique(rait) pour l’Etat s’il mobilise(ait) pleinement ces ressources.
Mais Damien a une vision toute différente. Fort d’une expérience en cabinet qu’il nous ressert à toutes les occasions, il estime avoir développé une connaissance précise du profil type de cet homo-fonctionarius mystérieux. Quels sont les critères et pourquoi n’ai-je pas le profil? Cela reste une inconnue à mon équation.