Aujourd’hui c’est la journée de la femme. Dans le tourbillon médiatique du #metoo et #balancetonporc, on pourrait penser qu’après la loi sur l’IVG, la pilule, la liberté sexuelle, la parité, la discrimination positive, l’allongement de la prescription en matière de viol sur mineur, la majorité sexuelle, le viol, plus récemment les propositions pour instaurer des quotas dans le cinéma [Sexisme au cinéma: les quotas, une étape inévitable pour vaincre les inégalités, Le Monde 1er mars 2018]…bref, on pourrait penser que l’on aura tout dit sur la question….sans pour autant, évidemment, tout régler.

Tout? Peut-être pas.

Il reste une discrimination qui persiste, dont on parle peu tant elle est taboue et qui émane bien souvent des femmes elles-mêmes, la question de la maternité.

Récemment, la parole s’est libérée sur l’accouchement et le conflit entre l’acte médical nécessaire et le choix de la femme. [Voir par exemple Accouchement: beaucoup de femmes pensent qu’elles n’ont pas leur mot à dire, Le Monde du 1er février 2018]

La lecture d’un article récent sur le mouvement childfree [Le mouvement Childfree contient l’idée d’un vrai choix, Le Monde 24 février 2018]  m’a rappelé la plaidoirie de Gisèle HALIMI du 8 novembre 1972 pour la défense de Michèle CHEVALIER dans l’affaire de Bobigny, l’année même de la création de ce mouvement aux Etats-Unis. (2014 pour la France)

C’était il y a 46 ans et pourtant, sa tribune est décidément encore criante d’actualité.

Rappelons le contexte: Marie-Claire, 16 ans, a été violée. De cette « rencontre » a failli naître un enfant. Mme CHEVALIER, la mère de la victime, ainsi que 2 autres « faiseuses d’anges » ont été poursuivies pour complicité d’avortement. A l’époque, l’avortement était un délit.

Dans une brillante démonstration, Gisèle HALIMI a emporté la conviction: Michèle CHEVALIER a été condamnée à 500 francs d’amende. Elle a fait appel du jugement mais le parquet laissa passer un délai de 3 ans sans audiencer, emportant prescription. L’avortement sera dépénalisé par la loi VEIL du 17 janvier 1975.

Quel rapport avec la question de la maternité et le mouvement childfree alors?

Ce mouvement rassemble les femmes qui choisissent de ne pas avoir d’enfant. Aujourd’hui encore, personne ne jugera un homme qui n’aura pas d’enfant. Parce que les hommes ne portent pas l’enfant? Ce serait ainsi restreindre la parentalité à des critères strictement biologiques. La femme, elle, sera stigmatisée: qualifiée d’égoïste ou de carriériste, pressée par son « horloge biologique » elle pourra aussi nourrir d’interminables suppositions sur le fait d’être stérile, en questionnement, instable, trop exigeante pour n’avoir pas su/pu trouver le bon partenaire…la stupéfaction sera encore plus importante si la femme est en couple.

Parce qu’aujourd’hui encore, être une femme « normale », c’est être une mère.

Les discours sont nombreux, embarrassés, moralisateurs faisant plonger ces femmes qui expriment un choix éclairé, consenti et entier, dans la catégorie des « minorités ».

Or le choix d’être une femme sans être une mère fait entièrement partie de la liberté de la femme.

Le mouvement childfree qui se décline sous plusieurs formes est un courant féministe. Le choix de ne pas être mère peut être lié à l’histoire personnelle de la femme: il ne suffit pas de pouvoir enfanter, sur un plan physique, pour être parent. Ce choix peut aussi être un véritable acte responsable. Ainsi parmi les arguments des childfree on trouve les notions de respect de la femme mais aussi de l’enfant. C’est enfanter qui pour certaines, serait égoïste: peur de vieillir seule, volonté de retenir un conjoint, la sensation d’être « normale » sans assumer sa part de femme en soi. Pour d’autres, c’est aussi une façon de sauver la planète de la surpopulation.

Il est important, en ce jour, de rappeler que ne pas être mère, pour une femme, est aussi l’expression d’une liberté, d’autant que l’un des freins à la carrière d’une femme reste le difficile équilibre à trouver pour concilier vie professionnelle et vie personnelle – vie personnelle s’entendant comme vie de femme-mère. D’où ces remarques fréquentes : l’arrivée de l’enfant est forcément un frein à la carrière d’une femme, les femmes peuvent professionnellement s’en sortir en faisant élever leurs enfants par d’autres (ce qui suppose de disposer d’importants moyens financiers) ou devront renoncer à des postes importants pour pouvoir tout concilier. Et ces femmes qui renoncent seront à leur tour jugées pour le choix de vie qu’elles auront fait, par leur patron/ne ou leurs collègues notamment, la maternité les ayant transformées…problème sans fin.

Le choix lié à la question de la maternité, au-delà du conflit de genre, crée des frustrations et rivalités entre les femmes elles-mêmes, générant des discriminations sournoises, témoins d’un profond mal-être et malaise sur cette sensible question.

Parmi les raisons avancées par la sociologue Anne GOTMANN, en voici quelques unes: « De nombreuses évolutions sociétales peuvent expliquer le phénomène. L’évolution des couples, par exemple, et leur instabilité. Dans le même temps, vous avez des personnes qui veulent vivre une relation « pure », sans risquer de l’abîmer avec l’arrivée d’une tierce personne. L’évolution du marché du travail, qui offre des opportunités quasiment équivalentes aux hommes et aux femmes, joue également un rôle. Cela pose des questions sur la compatibilité entre travail domestique et carrière. La place de l’enfant, enfin, a changé. L’accès à la contraception fait que, quand il arrive, l’enfant a été désiré. Pour les parents, il doit naître et grandir dans de bonnes conditions, ce qui représente des coûts croissants d’éducation et de consommation. Un coût humain aussi, car s’occuper d’enfants n’est aujourd’hui pas forcément vu comme une activité épanouissante. »

Elle précise que contrairement aux idées reçues, « en valeur absolue, les « childfree » demeurent beaucoup plus nombreux dans les classes moyennes et inférieures. Il s’agit aussi d’un phénomène populaire. »  Il n’y a pas, en conséquence, que des femmes de catégories socio-professionnelles élevées, comme Theresa May ou Angela Merkel.

Réécoutons Gisèle HALIMI:  » Accepter que nous soyons à ce point aliénées, accepter que nous ne puissions pas disposer de notre corps, ce serait accepter, Messieurs, que nous soyons de véritables boîtes, des réceptacles dans lesquels on sème par surprise, par erreur, par ignorance, dans lesquels on sème un spermatozoïde. Ce serait accepter que nous soyons des bêtes de reproduction sans que nous ayons un mot à dire.

L’acte de procréation est l’acte de liberté par excellence. La liberté entre toutes les libertés, la plus fondamentale, la plus intime de nos libertés. Et personne, comprenez-moi, Messieurs, personne n’a jamais pu obliger une femme à donner la vie quand elle a décidé de ne pas le faire. En jugeant aujourd’hui, vous allez vous déterminer à l’égard de l’avortement et à l’égard de cette loi et de cette répression, et surtout, vous ne devrez pas esquiver la question qui est fondamentale. Est-ce qu’un être humain, quel que soit son sexe, a le droit de disposer de lui-même? Nous n’avons plus le droit de l’éviter. » (Extraits de l’ouvrage « Les grandes plaidoiries des Ténors du Barreau – Matthier ARON, pocket 2010, page 97)

Il y a encore un long chemin à parcourir pour que la femme se sente libre dans ses choix et dans son corps mais avant tout, chacun fait ce qu’il veut, comme il peut, et personne ne devrait être jugé pour cela. Bonne journée à toutes les femmes, mères ou non, et à tous les hommes qui les entourent avec bienveillance et les respectent dans leur choix.