L’administration a ses codes, sa terminologie et aime compartimenter ses services au gré des politiques publiques. Le sport préféré c’est changer de nom et refondre les organigrammes, sous prétexte de prôner le changement et la modernisation…un peu comme construire des tramways en 1920, puis considérer que ce n’est plus justifié sur le plan de l’ergonomie des villes, puis finalement les reconstruire parce que c’est tendance et écolo. Avancer, reculer, reprendre, refaire, déconstruire…c’est très bouddhiste en fait l’administration, rien n’est fait pour durer, tout est mouvement…certains en revanche sont inamovibles, c’est un peu toute la schizophrénie du concept.
Dans certains secteurs, on ne parle d’ailleurs que par acronymes, sorte de novlangue qui rend certains placards dignes d’existence alors que n’importe quelle entreprise aurait déjà coulé à maintenir de tels services… En fait, le service public est passé maître en rhétorique ou comment habiller d’essence ce qui brille de vacuité.
Nous pensons notamment au chargé de mission, le technicien de surface des administrations (pour l’euphémisme), sorte de fourre-tout opérationnel quant on a besoin de main-d’oeuvre immédiate ou surtout quand on ne sait plus où mettre un titulaire.
Ce qui rythme l’administration aussi, ce sont les projets, les déclamations péremptoires, l’optimisme, l’utopie parfois, bref les grandes valeurs républicaines du changement et de la modernité. Il suffit de lire la loi sur la simplification du droit pour comprendre que tout n’est pas toujours aussi simple. C’est que l’administration est constitutionnellement soumise au politique donc les projets sont forcément court-termistes, 5 ans tout au plus.
Au milieu de cette valse à 1000 temps, la réunionite. Forcément, pour mettre en oeuvre tous ces projets, il faut réunir les experts, inventer des concepts, inviter des personnalités, faire des rapports – très important les rapports– les jeter, les enterrer, les ressortir…la réunion est une vraie méthode managériale d’occupation. Athos nous raconte encore avec brio la mise en place du COPIL dans son service…n’en disons pas plus, c’est tellement explicite….
Le vrai problème c’est une fois que l’on a ce rapport de COPIL, pourquoi cela ne débouche quasi jamais sur un plan d’action? Il faudrait appliquer à la réunionite des prescriptions médicales: parce qu’une maladie ça se soigne, il faut le bon remède. Le remède de la réunionite? Imposer un plan d’action, se rendre compte que la réunion n’avait pas de sens, donc supprimer les réunions. Et venons enfin à bout de cette épidémie…
COPIL
Frustration estivale : aucun mini-golf installé au bureau cet été. En cause, la chasse frénétique aux Pokémons qui a jailli dans le service. Pokémon Go a sonné le glas des lents après-midis climatisés à attendre que le mois d’aout se traine entre fléchettes et autres activités intellectuelles…
Réfractaire à poursuivre un monstre imaginaire dans les rues (à quoi bon ?! On en a déjà un au fond du couloir qui n’évolue pas en la personne de Jo), j’ai donc patiemment attendu entre débriefings de L’amour est dans le pré et chasse au Pikachu, la réunion de service qui annonçait la rentrée.
Pour motiver ses troupes, Highlander tient chaque année à lancer « un nouveau chantier », en général tout droit sorti des objectifs qui lui sont fixés par le big boss. Implacable effet de cascade.
Le service se saisit donc du dossier. La formulation même, ce « saisissement » qui donne une sensation de dynamisme et de volonté dans l’action, reste bien sûr strictement fictive, ne nous y trompons pas !
Au programme cette année : « travailler à la réforme de nos applications informatiques ». Un sujet qui ne soulève pas un enthousiasme débridé, mais qui permet de dégainer l’idée géniale et habituelle dans ce genre de situation : créer des groupes de travail et mettre en place un comité de pilotage. « COPIL » pour les intimes.
COPIL, ça sonne bien. On pense à l’art de conduire, de diriger un projet, … mais le COPIL suppose qu’il y ait quelque chose à piloter… Les groupes de travail vont donc mobiliser du personnel, il y aura surement des audits, des analyses, des interlocuteurs divers et variés qui mettront des temps divers et variés à répondre, ce qui assure au COPIL une durée de vie digne d’une ère géologique.
Attention, le COPIL ne peut être utilisé que dans des cas précis :
– sujet dont l’urgence n’est pas aussi urgente qu’il n’y parait ;
– sujet moisi mais repris dans le plan d’action du ministère dans le cadre du recyclage traditionnel des sujets moisis qui trainent ;
– sujet vraiment majeur avec des enjeux stratégiques mais qui suppose une prise de position casse-gueule pour la carrière de celui qui s’y colle ;
– sujet qui attendra certainement que le successeur, acculé et dos au mur, le traite ou l’enterre sous le tapis car l’urgence n’est plus aussi urgente et … CQFD.
Le chantier comportant le mot « réforme », il y a généralement fort à parier qu’il n’a aucune chance d’aboutir. Pour ce faire, il suffit juste d’omettre de convier aux groupes de travail les personnes principalement intéressées, dans ce cas précis: les informaticiens. Prévenus une fois les travaux finalisés, ils ne manquent pas de nous informer que tout ce qui a été imaginé pour la réforme est techniquement irréalisable ou dépassé depuis 15 ans et le projet est donc abandonné « à cause des informaticiens ».
Mais Highlander, comme son nom l’indique, n’a peur de rien. Il a certainement 9 vies – administratives en tous cas – et le COPIL intègrera donc un représentant du service informatique. Pour les autres participants, heureux élus du COPIL de la réforme, on retrouve donc entre autres Jocelyne, à peine remise de la disparition du Minitel qui tape sur son clavier avec un seul doigt, Christophe, qui paie cher son refus des réseaux sociaux, ou encore moi, punie pour mon désarroi face aux Pokémons. Il ne nous manque que Goldorak dans l’équipe et …… Tremble Google !