Comme dans toute administration qui se respecte, il y a le discours de bonne année – « les voeux » – talonné de près par la galette des rois, une occasion festive de réunir les agents et d’évoquer ensemble « l’avenir du service ». Enfin… pour 2016…. Après on verra.

La galette est l’un de ces moments riches et participatifs de motivation des troupes durant lequel « la source » leur présente le programme sagement conçu pendant la trêve des confiseurs, à l’écoute des constats de fin d’année échangés autour du sapin de noël. Une véritable industrie de l’idée rythmée par des traditions dont on a un peu oublié l’origine. Mais tout prétexte est bon pour déclencher la stimulation des motivations collectives!

Athos nous livre l’un de ses plus drôles témoignages sur le discours de son roi, chef de service suprême, discours dont la terminologie nous rappelle un peu tous les pamphlets cyniques que l’on a pu lire sur le fonctionnement interne du service public…rien de bien nouveau finalement dans ce discours.

Mais au fond, le but du jeu c’est la fève non? Le discours est devenu si central que l’on en a oublié l’objectif initial…devenir le roi d’un jour avec son petit moment de gloire. En fait, finalement, ce que nous apprend ce récit, c’est que le discours de la galette ne met pas forcément le roi à l’honneur, comme quoi au pouvoir ce n’est pas la couronne dûment gagnée ou le mérite qui compte..Mais bien le titre. Au chef les honneurs, au roi les illusions…

« Toute ressemblance avec des discours de vœux déjà prononcés serait fortuite et voudrait seulement dire que : soit le vocabulaire des discours est récurrent, soit que l’on a tous été dans les mêmes écoles. »

Le discours des rois

S’il y a une règle d’or que l’on se fait fort de respecter dans mon service, c’est bien celle-ci : « Aucune occasion de manger et/ou de boire, tu ne laisseras passer dans l’administration ». Et le mois de janvier est l’occasion parfaite de décliner cette bonne pratique autour des multiples sessions de vœux organisées par la hiérarchie que l’on peut écouter (ou pas) en croquant dans une galette.

Dans le marathon de la frangipane, il y a un moment « fort » : le discours du grand patron qui pour l’occasion se déplace jusqu’à nous.
Telle une rock star fendant la foule d’un stade bondé –ou presque-, il va de poignées de mains moites en sourires forcés jusqu’à l’estrade où l’attend au pied du micro, un premier rang d’agents de tout grade en quête de reconnaissance.

« Bonjour à toutes et à tous,
Je suis très heureux d’être avec vous aujourd’hui pour partager ce moment de convivialité… Blablabla… »
La galette n’est vraiment pas mauvaise cette année.

« L’année 2015 nous a tous éprouvé (…) mais elle a aussi été une année où une fois encore les services se sont mobilisés. Notre action se poursuivra et 2016 sera une année majeure, qui, je le souhaite, sera marquée du sceau de la réussite (…) »
Challenge donc car, a priori on ne change pas les équipes et les méthodes de Jo ne sont certainement pas les plus efficaces…

« La réforme de nos services se poursuit et en ce sens j’ai demandé à mes collaborateurs de travailler sur une réflexion globale visant à dessiner des orientations pour l’avenir(…).»
Il faut savoir une chose : ici, le dessin, c’est de l’art abstrait. Ça risque donc d’être « conceptuel » avec une réflexion qui mobilise certainement une dizaine d’agents, qui rendront un rapport suffisamment épais pour décimer une forêt, et avec une décision finale prise par la hiérarchie sur un coin de table deux minutes avant de rendre les conclusions.

« La qualité de notre travail est la clé de notre mission auprès des usagers et en 2016 nous renforcerons par notre action la professionnalisation de nos services (…) »
Ah… dis comme ça, on a la sensation qu’avant 2016, on était des touristes !

« Pour impulser notre dynamique, de nouvelles actions déterminantes seront engagées au cours des mois à venir selon un calendrier prévisionnel (…) ».
Alors, « calendrier prévisionnel » se comprend comme : élément tout à fait hypothétique, incertain, voire même imaginaire, calculé selon des prévisions favorables qui ne seront jamais présentes (sauf si une licorne bleue traverse la cour de l’immeuble entre 12 h02 et 15 h14) et qui a été décidé sur le même coin de table que « les orientations d’avenir ». En bref, j’ai le temps de faire le tour du monde en skateboard avant qu’ils ne soient arrivés au bout de leur calendrier prévisionnel.

« Nous allons réformer nos pratiques et renforcer le dialogue social (…)».
Vœu pieu ou bonne résolution de la nouvelle année… c’est un peu comme dire que l’on arrête le chocolat, la main plongée dans un paquet de chocobons.

« Nous sommes unis dans cette grande aventure administrative qui se poursuivra en 2016 (…) »
Aventure administrative…. Un peu comme Koh Lanta ? Avec des équipes que l’on fusionne et qui ne s’entendent jamais ? Une sélection qui se joue à qui tient le plus longtemps sur un poteau plutôt qu’à qui est le plus doué ?… Aïe !

« Aussi, je vous présente mes meilleurs vœux pour 2016, pour vous-mêmes et ceux qui vous sont chers ».
Entre deux applaudissements polis pour ce discours que j’ai la sensation d’avoir déjà entendu, je me retourne vers Karine qui nous fait à chaque nouvelle intervention son top ten des mots employés.
– Le grand vainqueur est le mot « action » avec une répétition de 9 fois, talonné de près par « réforme ».
J’espère qu’un jour « intérêt général » finira grand gagnant du loto de Karine. Comme ça. Pour me faire plaisir. Parce que c’est pour ça que j’ai voulu travailler dans l’administration. Pour l’intérêt général.